18 avr. 2009

7- Tas de foin et tas de souvenirs

Un tas de foin est un tas de foin. Mais pour qui a vécu un été au rang St-Alexandre un tas de foin c’est plus qu’un amas de brindilles de mil coupées et mises en tas.

C'est, avant l’invasion porcine, l’odeur de l’été. Une odeur de foin coupé qui couvre toute la campagne, qui vous informe, comme un journal local, ou un cellulaire où en est rendu le voisin dans ses foins.
Faire les foins c'est le moulin à faucher dont on aiguisait patiemment les dents pendant que la rosée s’évaporait sous le soleil de dix heures.

C’est le râteau aux deux immenses roues de fer et aux grandes dents pointues que tout jeune, il fallait, en s’étirant la jambe au maximum, savoir faire lever à temps d’un coup de pédale au bout du pied pour former des andins droits. En même temps, il fallait bien tenir les cordeaux, faire attention aux roches ou aux rigoles et répéter le manège cinq ou six fois par traverse latérale du champ fraîchement fauché. Quel apprentissage? Quels souvenirs!

Et ces tas de foin servaient de fond à de multiples tableaux champêtres que les journées de juin répétaient en tonnes de copies et que notre imagination s’amuse encore à refaire tels d’immenses casse-tête.


Deux jeunes filles en équilibre sur une charge qui s’élève toujours, en robe et chapeau de paille, armées de fourche luttant contre le chargeur, cette girafe des champs qui dégobille sans arrêt les andins qu’elle dévore goulûment.

Et cette immense vailloche de foin qui tournoyant, grimpe solennellement le ciel de la grange pour partir en course folle tout en haut vers le fond de la tasserie et s’affaler sous le signal du câble magique tiré par le planteur de la grand’fourche réfugié à une extrémité sécuritaire de la
wâgine.

Et pendant que ces ascensions s’accomplissent et se répètent, encore trop faible pour planter la grand’fourche, un petit gars enveloppé de poussière se débat avec un enchevêtrement de cordeaux et de baculs. Conduire deux chevaux, ne pas emmêler les traits et les baculs, prendre assez de vitesse pour que la fourche prenne la traque,(*) les arrêter au bon endroit, décrocher le câble, faire retourner les chevaux tout en tenant les cordeaux et les baculs, démêler les ordres souvent contradictoires qui venaient du fond de la grange voilà des exploits que beaucoup d’enfants du rang St-Alexandre ont réussi dans les années 40 sans pourtant qu’ils soient inscrits aux records Guinness. Seuls les tas de foin s’en rappellent.

Et que de souvenirs chacun peut associer aux tas de foin. Je me souviens, c’était en 53, nous étions allés faire les foins à Châtillon. Pourquoi Châtillon? Une terre dont Berchmans ou papa avait acheté la coupe de foin. La charge avait monté rapidement. Papa était sur sa fière Fergusson, Berchmans sous le chargeur et nous, Carmen, Thérèse ou Claire, je ne sais trop et moi, en pantalons noirs des frères, ses acolytes faisions une savante distribution du foin sur la charrette. Les vaches meuglaient dans le champ de voir partir leur pain d’hiver.
Au retour Berchmans avait pris le volant du tracteur. La charge s’est arrêtée un moment d’éternité devant une maison du bord de la rivière. Une ravissante jeune fille, tout sourire, est venue parler à Berchmans. Du haut de la charge, enfoncés dans le foin qui sentait bon comme l’encens, nous n’avons rien entendu de cette confession. De toute façon ce n’était pas de nos affaires. La charge s’est ébranlée doucement et est repartie lentement. J’ai vu Berchmans se retourner et esquisser un de ses sourires amusés dont il avait le secret. Quelques temps après j’apprenais la publication des bancs entre Berchmans Jutras et Denise Bourassa .
Que de secrets pourraient nous raconter les tas de foin qui sont nés entre les années 40 et 60 dans le rang St-Alexandre!

On pourrait penser que notre enfance, comme celle de la plupart des garçons et filles du rang St-Alexandre a été grise et terne, qu’il n’y a rien à dire là-dessus : on faisait le train, on allait à l’école, on agaçait un peu les filles et on passait à travers l’enfance comme sans s’en apercevoir. Mes souvenirs d’enfance? un tas de foin informe dont on distingue difficilement les brindilles entremêlées qui l’ont composé.

Cependant, si au coin du feu ou dans une rencontre de retrouvailles, on tire du tas de nos souvenirs une de ces brindilles, les oreilles se dressent, plusieurs brindilles entremêlées sortent du tas, prennent la saveur et la couleur du temps passé et on n’en finit plus de se raconter les prouesses de notre bon jeune temps.

Que notre mémoire mordille une de ces brindilles comme on le fait d’une brindille de foin il s’en dégage une odeur, une saveur et des images qui refont le tissu de notre enfance..

Nous avons chacun nos tas de foin. « Mémoires à l’ultraviolet » veut réveiller ces tas de foin, ressusciter ces souvenirs de l’enfance, ces instants de rien qui nous ont marqués, qui ont tissé entre nous des liens si forts qu’il nous fait toujours plaisir de nous revoir et de revivre des moments débordants de la chaleur et de l’intensité de vie de chacune et de chacun.

Cette chronique faut-il le rappeler, est ouverte à tous. Il suffit de sortir quelques brindilles de nos souvenirs, de les formuler verbalement ou par écrit, de les faire parvenir à Florian ou Clément qui verront à les lancer sur les ondes pour qu’ils soient offerts, comme un savoureux dessert d’enfance, à tous ceux qui ont partagé cette même tranche de vie.

Non, notre enfance n’a pas été grise ni terne. Elle est toute émaillée, comme les champs du rang St-Alexandre au petit matin, de gouttes de rosée qui irradient les mille soleils aux milles couleurs de nos souvenirs
.


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Pour voir le diaporama de l'enfance: un clic



(*) la traque – Il s’agit ici du rail ou lisse en bois accroché au sommet du pignon de la grange sur lequel courait un chariot qui emportait au fond de la tasserie la grand-fourche chargée de foin. Si la grand-fourche ne montait pas assez vite à cause de la pesanteur du foin ou de la lenteur des chevaux qui tiraient le câble alors le chariot restait coïncé sur le rail (la traque comme on disait) et la fourchée de foin suspendue au-dessus de la wâguine. Vous me comprenez? Et le père criait et le ptit gars qui conduisait les chevaux pissait dans ses culottes!


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1 commentaire:

  1. Salut Florian. Je trouve tes mémoires des plus intéressantes. Ayant sensiblement ton age tes souvenirs se rapprochent beauxcoup des miens. Les vacances que j'allais passer à Saint-Zéphirin pour faire les foins ou ramasser l'eau d'érable sont pour moi de très beaux souvenirs. J'ai ajouté l'adresse de ton blogue dans mes favoris et je lirai avec plaisir tes mémoires.
    Réal Coderre

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