14 mars 2009

2 - Naître au XX siècle

Comment le XXe m'est entré dans la peau

Je suis né en octobre 1929, année maudite du XXe siècle, trois semaines avant la fin des Années folles et vingt jours avant les jeudi, lundi et mardi noirs du 24 au 29 octobre où à Wall Street notre monde éclata en mille miettes. Suivirent les jours néfastes de la Grande Dépression : dix ans de misère couronnés par la deuxième guerre mondiale C’est sur cette chaine du temps que les mémoires de mon enfance vont se greffer.

Le vingtième siècle

Le vingtième siècle témoin principal de mon temps de vie n’est pas tout rose: deux grandes guerres mondiales, un krach de l’économie, la Grande Dépression, la grippe espagnole, les génocides en Arménie et au Rwanda, les enfants du Biafra etc…Comparé à d’autres. je suis certain que ce siècle monterait sur le podium pour le nombre de morts violentes enregistrées à son compte.

Je ne veux pas compiler ses statistiques ni refaire son histoire déjà décrite ad nauseam. Tout simplement, je veux égrener le chapelet des événements et découvrir comment ce siècle s’infiltrant dans les pores de ma peau et de mon temps y a répandu les germes d’étonnantes mutations.

J’y suis entré inconscient. Lui, ce siècle, sans grand discours, par petites bouffées, il s’est subrepticement introduit sous mon épiderme. Il m’a coloré la peau comme le froid et le chaud colorent de rouge les joues des enfants et d’ébène les peaux africaines.

Dans mes souvenirs

J’étais tout jeune, c’était avant la messe, à l’église de St-Zéphirin, un dimanche d’été. Quatre zouaves pontificaux, aux costumes gris bandés de rouge, martelant fortement de leurs talons ferrés l’allée centrale, font leur entrée par les grandes portes et s’installent debout en garde-à-vous entre les bancs et la sainte table.

Cette scène m’impressionne. Elle imprime au fond de mon être une double marque d'identité qui comme l'avers et le revers d'une médaille scelle mon appartenance à ce siècle. Mon temps et le monde où je suis né le 5 octobre 1929 appartiennent à la fois et en caractères indivisibles au pape et à la guerre.



Les Zouaves étaient au service du Pape tout comme les gardes-suisses, les Chevaliers de Colomb et les Jésuites. C’est pour cela qu’ils entraient par les grandes portes de l’Église et par les yeux grand ouverst des enfants ébahis. Ils étaient au service de la défense des États pontificaux envahis par Garibaldi entre 1860 à 1870.

En 1900 au Canada on crée L’unité canadienne des zouaves pontificaux. Arborant les armes de la papauté, ces zouaves ne traverseront pas toujours l’Atlantique mais ils occuperont une place d’honneur à toutes les manifestations canadiennes françaises catholiques.

Photos de l'oncle Maurice Houle à St-Simon de Drummondville et de Louis Girard second mari de Exilia Jutras

Dans mon enfance, m’a-t-on dit, j’ai voulu être pape comme, je l’imagine, les petits cubains rêvaient être Fidel Castro.

Cependant je n’ai jamais joué avec des petits soldats de plomb zouaves. D’abord parce que les enfants qui jouaient avec des figurines de plomb, étaient vêtus de toile de lin brodée aux couleurs vives alors que nous portions que ‘overalls’ délavés tenus par des bretelles de cuir ou de corde à lieuse. Ces culottes étaient portées directement sur la peau, sans sous-vêtements, sauf en hiver où, comme des momies, on était enveloppé d’un pullman ouaté, boutonné et à jambes longues.

Pourquoi nous les enfants de St-Zéphirin ne jouions nous pas à la guerre ni même au cowboy?

D’abord parce qu’à St-Zéphirin, on avait beaucoup de vaches mais pas de cowboys. Cowboy était un terme et un jeu qui est venu plus tard par les anglophones des villes qui fréquentaient les cinémas. Nous, on vivait à la campagne. On était des « habitants » et notre écran c’était le vaste horizon dégagé par les plaines du Lac St-Pierre.

Et pourquoi ne jouions-nous pas à la guerre? C’est une autre histoire, j’y viens.

Le XXe que j’ai connu dans mon enfance avait déjà des allures de guerre et était fortement dominé par le Pape. C’est ce que les zouaves ont dit à mes yeux et ce qu’ils ont martelé à mes oreilles un dimanche de juillet dans la grande allée de l'église paroissiale.

La Grand Guerre

La Grande Guerre, elle, c’est surtout par les oreilles et par la gorge qu’elle est montée à l’étage de ma conscience. Des hommes-fantômes, assis autour d’un crachoir qu’ils mitraillent à tour de rôle sous un écran de fumée que dégagent les hauts-fourneaux de leur pipe. Ils chuchotent des mots graves.

De la guerre, de la Grande surtout, on en parlait qu’à mots couverts. Et pour cause. Ce qu’on en racontait a été vite transmué en légendes rurales pas très gaies qui voyagent encore dans l’imaginaire avec les loups-garous.




C’était le fils de Hormisdas Y qui s’était caché dansl’bois et qu’on nourrissait au bout de la fourche, à la dérobée, au petit matin ou à la tombée de la nuit.

Ou bien les deux fils de Télesphore qui avaient couru des nuits et des nuits sur les chemins des chantiers poursuivis par des gardes qui leur tiraient dessus pour les ramener vivants à la guerre! Quelle logique! L'absurde logique de la guerre, de toute guerre!


Ou encore, celle du fils d’Abraham dans le bas du fleuve qui s’était coupé l’index avec sa hache dans le but avoué d'être classé « exempté » pour cause d’infirmité. Et à mi-voix on disait même que c’était même son père Abraham, (aucune parenté connue avec l’Abraham de la Bible) qui avait fourni la buche et frappé de la hache. On ne parlait pas de l’ange qui aurait arrêté le bras du père. Il leur arrivait cependant de compter les moutons de canadiens français immolés sur le bucher de cette Grande Guerre.


Voilà pourquoi à Saint-Zéphirin à cette époque, toute guerre, la Grande surtout, on était contre. Voilà pourquoi on en parlait peu, pourquoi son spectre effarouchait et pourquoi probablement j’ai développé sur cette question des anarchies non contrôlées.

La Grippe espagnole

La Grippe_espagnole « a mis au monde » presqu’autant de morts que la Grande Guerre! Ma grande tante, la sœur de mon grand-père, Exilia Jutras lui a payé un lourd tribut.

Exilia est une femme de légende. Elle a eu trois maris, 22 enfants et 95 petits enfants, En 1918, huit membres de sa famille moururent de la grippe. Elle-même atteinte, du deuxième étage de sa maison, elle a vu défiler les cercueils des membres de sa famille emportés par la grippe. Puis elle s’est remise et a pris à bout de bras les commerces et diverses entreprises de ses maris et les a menés à terme.


Droite, déterminée et d’une étonnante vitalité, elle nous impressionnait avec sa grande robe noire chaque fois qu’elle venait à St-Alexandre rendre visite à mon grand-père Hormisdas, son frère. La maison paternelle où je suis né résonne encore du haut timbre de sa voix et les murs s’écartent sous la pression de sa dynamique présence.

C’est par ses récits colorés que la grippe espagnole toute chargée de la légende de ses horreurs m’est entrée dans l’âme mettant sous le boisseau les lumières que le XXe aurait pu faire briller à mes yeux.

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3 commentaires:

  1. Les zouaves pontificaux...
    Voilà qui me ramène à mes premières années d'école primaire... Car il y avait aussi des zouaves -- empesés dans leur uniforme gris-bleu aux pantalons bouffants, portant fièrement fusil en bandoulière --, à la paroisse Saint-Simon (Drummondville-Sud). Ils étaient là à chaque grande occasion, comme pour lui donner un caractère officiel. Papal. Je me souviens d'avoir été très impressionné un jour par une 'parade de zouaves' venus d'un peu partout pour un grand rassemblement... Certains venaient sans doute de Rome; peut-être même, qui sait, de Saint-Zéphirin!

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  2. Bonsoir Jean
    En fait St-Simon de Drummondville c'est dans la cour de St-Zéphirin!... Je ne savais pas que tu connaissais cette région. Cela ajoute des fleurons à ta légende.
    En fait Louis Girard second mari de Exilia Jutras (ma grand-tante) n'était pas de St-Zéphirin bien qu'elle y ait vécu avec mon grand père et dans le rang St-Alexandre par dessus le marché mais son second marie venait probablement de la région de Drummondville ou de St-Cyrille de Wendover,lieu de naissance de ma mère. Que le monde est petit! Et quand les grands se pointent dans ce monde, cela marque!...

    Merci pour ta marque.

    Florian

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  3. Bonjour Florian. Je lisais dernièrement une des premières parties de tes mémoires et lorsque tu parlais des zouaves je me suis rappellé que l'oncle Maurice Houle faisait parties des zouaves de St-Simon et je vois encore son costume gris et rouge. Je n'ai malheureusement pas de photos de ces annés là. Au plaisir de te revoir.

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