21 mars 2009

3 - Au terme des années folles

Les
années folles » ces dix ans de défoulement et de compensation pour les affres de la Grande Guerre ont été portés à ma conscience en deux volets. Le volet rose français des « Années folles » proprement dites et le volet noir de la bête folie américaine qui nous mit sur les rails menant directement au krach de 1929, à la Grande Dépression et à la deuxième guerre mondiale.

Le volet rose
L’atmosphère frivole des Années folles m’a conquis tout jeune. C’est par une brèche très mince comme celle par où passaient les rayons de soleil entre les planches de la grange sur
la tasserie qu’elle m’a atteint.

Cette brèche, quelques mots légèrement grivois des chansons à répondre que mon oncle Rolland chantait à la volée lors des visites de familles. Ces mots, les cuisses et la pitchum et la pitoune tra-la-la et bien d’autres, accompagnés de gestes appropriés nous faisaient tourner la tête comme à de jeunes libertins pour rire de plaisir et de gêne à la dérobée.
Des grands vents de défoulement et de libération générés en France et principalement à Paris de ces étonnantes audaces c’est ce petit souffle de libertinage camouflé qui est parvenu jusqu’à St-Zéphirin en plein coeur de la Grande Dépression.

Puis avec l’arrivée de la radio, le charleston, le french cancan la musique très différente du grégorien et des cantiques ont désempesé les danses « carrées » (pour « callées – de l’Irlandais ) et se sont traduits en jeux pour adultes et accessibles aux enfants : se croiser rapidement les mains sur les genoux en dansant ou de faire mille pirouettes de cet acabit.

Il y eut aussi,
sous l’influence de Coco Chanel le maquillage des femmes souvent en cachette du curé, la mode aux robes de couleurs puis plus tard les minijupes. Toutes ces pratiques portaient pour moi l’étiquette des années folles. Elles ont sûrement influencé l’audace de mes réflexions et nourri mon parti-pris presqu’inné et non réfléchi pour tout ce qui se passait de l’autre côté de la clôture, en marge des règles établies.

Le volet noir américain
En Amérique, c’était moins fou mais plus bête. Cette folie prit deux formes, la prohibition et la production.

La prohibition
D’abord, croyant le salut dans la rigueur morale à la Quaker, on renforce la
prohibition en vigueur sous les armes pendant la Grande Guerre.

Résultat : on barde les foyers de la grande croix noire de la tempérance, espèce d’épouvantail qui ne réussira pas à contrer l’ivrognerie galopante pas plus que n’y parviendront les tonitruantes prédications du carême directement branchées sur les portes de l’enfer.

La prohibition, « cet axe du bien » fera germer dans toute la société nord américaine d’importants réseaux de crime organisé dont Al Capone sera la vedette et la figure emblématique.

La production
Une même inspiration. Le salut est dans la rigueur. C’est la rigueur des chaînes de montage qui donne l’élan à la production et enclenche la surproduction.

Avec Henry Ford, les camps de concentration d’une nouvelle guerre s’habillent en usine de montage à la chaîne, école d’apprentissage à l’ère de robot des temps futurs.

Entre 1921 et
1929, la production industrielle augmente de 50 %. En 1923 un million huit cent mille (1,800,000) petits Ford sortent de la pouponnière de M. Henry. Volume qui sera réduit des deux tiers pendant la Grande Dépression et qui ne sera dépassé qu’en 1966.

L’électricité, nouvelle donne dans l’économie, emboîte la même cadence de production. Les électroménagers dociles et sans droit, remplacent les serviteurs et servantes des anciens régimes.

La première ligne aérienne électrique installée aux États-Unis date de 1923. La première radio privée, appelée Radiola, a vu le jour en 1922.

Bientôt il faudra une machine pour tout: laver le linge, dépoussiérer la maison, la chauffer, griller les toasts, laver et sécher la vaisselle, tondre le gazon, se couper la barbe et même se brosser les dents….

De 1923 à 1939 la production de l’électricité double.

Menée par ces deux chefs de file, le moteur à pétrole et l’électricité, l’économie nord-américaine, comme la grenouille de la fable, gonfle et se gonfle au point d’éclater en surproduction.

Cette surproduction ne pourra s’équilibrer que par une surconsommation. La bourse et les banques participent goulûment à ce développement sauvage. Elles créent une monnaie de singe qui elle aussi s’enfle au même rythme.

En cinq ans, de 1924 à octobre 1929, les cours de la bourse sont multipliés par quatre et l'indice Dow Jones est passé de 100 à près de 400.

C’est l’origine de l’obésité américaine, fléau de notre temps. Créer des consommateurs qui aient les yeux plus grands que la panse, qui consomment plus que leurs besoins qui aient le super appétit de cette surproduction. «Pourquoi ? Pour dépasser l’autre et en sourdine, engraisser les goussets des financiers. La vertu de la compétition sainte Excellence. Ora pro nobis.

Cette folie a altéré le sens inné des valeurs transmis par les traditions.

Le sens de la fête est passé au drable. À St-Alexandre on ne servait pas de boissons aux fêtes. Tout juste un petit verre de vin de betterave qu’on avait fabriqué en cachette et non sans des pincées de remords. Et plus tard, j’ai été surpris de voir mon père de nature plutôt généreuse, compter le nombre de bouteilles de bière à servir aux invités à la noce de son fils et mon frère Laurent.

Moi j’ai toujours été quelque peu fasciné par l’oncle américain qui arrivait en Ford aux pare-chocs chromés portant des chaussures blanches et qui s’informait, afin de nous payer la traite, de l’endroit au village où on servait de la crème glacée.

Il me semblait que les produits venus du magasin, biscuits bonbons ou mitaines étaient supérieurs aux produits maison.

Ma mère était contente de couvrir de prélarts aux couleurs vives ses planchers de bois franc. Les mobiliers chromés ont fait l’envie et parfois l’orgueil des habitants du rang fiers de mettre au rancart des meubles plein bois pour leur préférer des produits plastifiés ou chromés, heureux d’afficher ainsi leur intégration à la vie moderne..

Les années folles américaines m’ont acculturé. Elles ont dévalorisé la vie à la campagne par rapport à la vie en ville, le travail aux champs par rapport à l’usine.

Que restera-t-il de ces dix ans? Un nouvel ADN pour les temps futurs que ces années folles, de folie noire ou rose vont programmer. De nouveaux modes de vie, des libertés polymorphes, un rapport différent à l’argent et aux autres, des quêtes humaines inédites et insoupçonnées, un regard kaléidoscopique sur le bien et le mal, un faciès renouvelé du bonheur.

+++++++++++++++++++
Folie d’une liberté tout azimut
Sans règles ni contraintes
Évasion libertaire

Folie de la fébrilité sans but
Accumulation d’éphémères
Compensation boulimique
Des ères de sang et de mort.

Folie des chaos
Matrice des temps nouveaux
Aube scintillante
De sombres jours
___________________________

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Visiteurs

Aujourd'hui