28 mars 2009

4 - En 1929 une année maudite

LE KRACH ET LA GRANDE DÉPRESSION

Les tireuses de cartes l’annonçaient, les analystes le prévoyaient mais il y avait trop d’intérêts engagés pour qu’on écoute la raison.

Un coup de tonnerre réveille ce jeudi le 24 octobre 1929. Le krach de la bourse fait éclater à New York la bulle de verre de Wall Street, le condensé d'avant le bing bang de l’économie américaine.

C’est la panique. Churchill qui était à New York dit avoir vu un spéculateur se jeter du quinzième de son hôtel. Son geste sera répété dans les faits ou dans la légende par une vingtaine de victimes de ce krach.

Le château de cartes s’écroule en trois jours, les jeudi, lundi et mardi noirs. Le 29 octobre tout est fini. Le capitalisme gît exsangue. Ses succursales s’éteignent comme on débranche un arbre de Noël. Les monnaies se bousculent et chutent les unes sur les autres comme des dominos. Le Royaume Uni, si fanfaron avec sa livre sterling, coupe sa référence à l’étalon d’or. Comme une prostituée il traînera la rue au gré de l’offre et de la demande des marchés.

Les spécialistes s’agitent autour du moribond. Ils ne décèlent aucun signe de vie. C’est la mort lente mais sûre. Les déclarations optimistes des politiciens sonnent faux Elles sont impuissantes à réanimer le gisant, Des cris de pleureuses louées qui annoncent d’éminentes funérailles !

L’agonie durera 10 ans. Ironie du sort ou bizarrerie de l’espèce humaine, il faudra un agent de mort, la guerre, la deuxième mondiale en ce siècle, pour redonner un second souffle de vie au moribond.

Les échos de cette catastrophe ont plutôt résonné tard à mes oreilles de campagnard autosuffisant. Je me souviens seulement des atmosphères que le mot bourse dégageait comme un poison dans une bouteille quand on le prononçait.

Une atmosphère de scandale, celui du curé Pauzé à St-Gabriel de Brandon qui aurait englouti à la bourse certains avoirs de la paroisse. Mais ce curé était si vénéré et si saint qu’on le lui pardonna. C’est ce qui circulait entre les branches à St-Gabriel beaucoup d’années plus tard lorsque j’y séjournai comme enseignant.

Une sonorité de punition aussi qui servait d’exemple du haut de la chaire lorsque pour mousser l’amour de Dieu et les bienfaits de la vie rurale, proche de la nature, on dénonçait les grandes villes comme des lieux de perdition et l’attachement aux biens matériels comme non seulement un empêchement pour aller au ciel mais aussi comme la source des malheurs de notre époque. Le verbatim de ces dénonciations n’a pas été retenu par ma mémoire mais les attitudes négatives qu’elles ont inoculées comme des gènes régressifs dans mon tonus de vie, ont pris du temps à prendre le bord et ont laissé des traces que je reconnais encore aujourd’hui.

La Grande Dépression (1929-1939)

La grande déception causée par l’effondrement du capitalisme, cette espèce de Nabuchodonosor aux pieds d’argile, fut suivie par une non moins grande déprime la plus grande de ce siècle que l’on a nommée la
Grande Dépression.

Une ère de morosité où la ribambelle de la misère joue au saute-moutons sur les effets de la crise de Wall Street : fermeture d’usine, chômage, secours direct, promiscuité de la pauvreté, famine, maladie, précarité des soins de santé, longues files d’attente pour un petit croûton de pain ou l’espoir d’un emploi qui permette d’émerger de cette eau mal oxygénée.

La conscience de cette misère ne me toucha que très peu dans le rang St-Alexandre.

La Grande Dépression qui atteignait surtout les villes n’a pas affecté beaucoup la vie à St-Zéphirin ni dans les paroisses environnantes.

On continuait à faire boucherie à l’automne à mettre les fruits et légumes en conserves, à combler le caveau à patates, à carder la laine au printemps pour la filer l’hiver, à fumer le jambon pendant le carême. Les poules fournissaient les œufs nécessaires à la pâte à crêpe quotidienne quand on ne déjeunait pas tout simplement à la galette de sarrasin. Le poulailler était en toute saison la réserve de viande lorsque les réserves salées ou gelées affichaient la pénurie.

Le lin était brayé à la fin de l’été et transformé en serviettes et en draps qui nous sablaient la peau. Les guenilles étaient recyclées en couvertures ou en catalogne. L’énergie pour les transports et les gros travaux de la ferme était fournie gratuitement par les chevaux qui avaient leur ration de foin et d’avoine assurée. Bref on n’avait rien ou presque à acheter au magasin général. Seulement de la mélasse et des chaussures. La mélasse était une alternative au sirop d’érable produit gratuitement au mois de mars. Le sucre et la farine étaient aussi achetés mais en sac de 100 livres qui durait toute l’année.

Les chaussures des enfants, des claques produites à Acton Vale qui montaient à la cheville, servaient en hiver comme en été, aussi bien pour traire les vaches que pour aller à l’école ou à la messe. Il suffisait de les laver un peu…Le linge du dimanche durait une génération c’est-à-dire deux grandes dépressions. Pour les enfants, il suffisait d’acheter du « peddler » itinérant quelques morceaux aux plus vieux, de les décaler aux plus jeunes et ou de les échanger avec la parenté ou le voisinage. Quelques retouches faisaient des miracles et traçaient les sentiers de la mode. Les réparations de mobilier, d’attelage, de gréement aratoires et d’outils se faisaient gratuitement sur place.

Pour payer comptant les quelques denrées qu’on ne pouvait produire le revenu du lait « mené » chaque jour d’été à la fromagerie pouvait suffire. En hiver, le travail dans les chantiers assurait aussi un supplément d’appoint. Bref on aurait pu durer plusieurs crises sans trop maigrir.

Cependant l’annonce que l’on jetait dans les fossés les surplus de lait
ou des marchandises toutes neuves fraîchement sorties des manufactures afficha dans mon inconscient des kyrielles de point d’interrogation sur le bon sens des gens, l’honnêteté des dirigeants et l'échelle de
valeurs de notre époque.

Quelques faits de cette période situés dans l’ambiance générale de la Grande Dépression trouvent leur explication.

Mes tantes Alice et Lucienne qui avant leur mariage avaient enseigné quelques années dans les environs quittent la campagne pour aller travailler en ville au soin des malades à l’hôpital. Quelqu’un sur place avait facilité leur engagement à salaire fixe probablement supérieur à celui de maîtresse d’école.

Deux autres tantes qui vivaient en ville venaient chaque été accompagnées de leurs enfants par les « gros chars » à la gare de la Baie passer les vacances à la maisonnée de "peupére" Hormisdas.

C’est
La Bolduc qui se fit au Québec la porteuse de la nouvelle de cette grande misère. Sous les tonalités de la turlute surtout quand elle ne creuse pas l’estomac, la misère s’habille de velours et paraît même agréable.

«Cf.
Chanson de 1930 au sujet de l'effondrement de l'économie canadienne au cours de la Crise économique qui fait référence au nouveau gouvernement élu du premier ministre R.B. Bennett. Enregistrée en septembre 1930.
On peut cependant dire que ces deux grandes catastrophes successives qui ont grandement affecté dans le premier tiers du XXe l’économie et la qualité de vie la grande majorité de la population occidentale ont été très peu ressenties dans la zone protégée (ZEC) de St-Zéphirin.

La disette n’avait pas résidence chez nous. On était pauvres certes, mais sans la conscience de la pauvreté on vit dans un luxe durable.


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