16 mai 2009

11 - Mémoires de bûcheron

Paul (*)et moi, comme la ligue du vieux poêle, on se rappelle le temps où on chauffait au bois. Faire le bois, c’était la principale corvée de l’hiver. Chaque hiver, avant Noël, quand il y avait de la neige, pôpa attelait généralement deux chevaux sur la sleigh à doubles patins et partait souvent accompagné d’un ou de deux p’tits gars, se faire du bois à la cabane à sucre, pour l’hiver prochain.

« Je me souviens », dit Paul-Émile, de l’avoir souvent accompagné. Après avoir natché ( fait l’encoche) l’arbre à la hache, on le coupait au
galendard (**)de l’autre côté de l’entaille. Il fallait couper les billots en longueur, au godenda
rd toujours, les charger avec le « kentook ».. On revenait le soir à la brunante avec notre charge de billots, juste à temps pour faire le train. Les enfants plus jeunes, toé, Laurent, et Yolande se chicanaient pour manger les restes du lunch. C’était froid et très bon : des beurrées de creton couvertes de sucre du pays. Assis sur une charge de billots, à geler, le nez rouge, les pattes pendantes alors que pôpa, debout, criait après les chevaux, ça conserve la mémoire. Moé je l’ai fait souvent Ah bateau! »

"Plus tard, après Noël, pôpa partait de bonne heure le matin, un cheval tirait le moteur monté sur patins et le banc de la grosse scie de trente pouces. Il allait scier le bois des voisins avant de scier le nôtre. Avant de partir il avait limé les énormes dents de la scie. « Mes oreilles s’en rappellent encore », dit toujours Paul-Émile, « le grichage (pour grincement) de la lime sur les dents de métal, le frimas qui couvrait la scie ronde, le casque à oreilles de pôpa enfoncé jusqu’au cou, les nuages de vapeur que soufflait le cheval ».

C’était un dur travail. Il fallait deux ou trois hommes pour monter le billot sur le banc, pousser fort pour couper des bûches de quinze à trente pouces de diamètre qui, fendues, iraient aussi bien dans le poêle que dans la truie installée dans la cave Je crois que papa pouvait être payé de deux à trois piastres, le dîner en plus, pour ce travail qui durait toute la journée, engin, scie et essence fournis.

Le bois coupé, il fallait le fendre, si possible avant les sucres et absolument avant les semailles. Ce qu’on faisait tout l’hiver en revenant de l’école? On fendait du bois jusqu’à l’heure du train. Au printemps il fallait le rentrer et le corder dans la
shed (baraque). De là chacun à son tour, avant le souper devait remplir le cabanon à bois sous l’escalier, pour le chauffage de la nuit et du lendemain. Ça c’était le job des p’tits gars. Combien de fois on s’est chicané et fait chicaner là- dessus. « La boîte à bois est vide » disait maman, «qui va aller me chercher du bois? » Comme personne ne bougeait au premier appel, elle faisait mine d’y aller elle-même. Et là, l’un des quatre, victime de sa générosité ou de sa pitié, jamais les quatre à la fois, partait en grognant. «Comment que ça se fait que c’est toujours moé qui rentre le bois !» Mais il y allait quand même.

« Moé j’avais neuf ans quand j’ai commencé à fendre le bois ». enchaîne Paul-Émile. «Il fallait voir à ce que la bûche se tienne droit, prendre la hache à deux mains et vlan! espérer qu’un gros morceau de bois volerait en éclats. À l’un de mes premiers essais, je devais avoir neuf ans, je tenais la bûche de la main gauche ( j’ai toujours écrit de la main gauche mais je travaillais avec la main droite) je pris ma hache de la main droite et vlan! au lieu du quartier de bois, c’est le sang qui vola sur les bûches. Je m’étais coupé près du pouce gauche. Regarde, j’ai encore la cicatrice. »

Flo : « Es-tu allé chez le docteur pour arranger cela? »
P.-E. : « Ben non, voyons donc. Le meilleur remède qu’on avait dans le temps, c’était de la bouse de vache. »
Flo : « Dis-moi pas que tu as mis de la bouse de vache sur ta plaie? »
P. E. : Non, la bouse de vache c’était bon pour le mal de cou. Pour la plaie, je l’ai enveloppée et ça a guéri tout seul.

Tous à la cabane
La terre à bois était de propriété commune avec Jos Courchesne du rang St-Alexandre et son frère Bruno du rang St-François. Pendant le temps des sucres, Papa y logeait en permanence. C’était sa vacance du train et de tout le branle-bas de la ferme pendant cette période de vêlage. Le
temps des sucres pouvait durer de trois à quatre semaines.
Un samedi, par beau temps, on prenait congé de carême. Les trois familles se rendaient à la cabane. Toutes les privations de sucre et de bonbons étaient abolies pour les enfants et les adultes qui faisaient maigre depuis de longues semaines pouvaient s’empiffrer de lard et de jambon.

À la cabane c’était le bordel. On courait partout, deux minutes à la cueillette de l’eau qu’on avait peine à verser dans le gros baril sur sleigh tiré par le cheval qui enfonçait dans la neige, deux minutes à toucher à tout, à goûter à l’eau d’érable, à se lancer des balles de neige molle et mouillante… Les petits souvent victimes des plus grands allaient se consoler dans le tablier de leurs mamans occupées à faire cuire les oeufs, le jambon, les patates, sans oublier les fameux grands-pères dans le sirop pour toute cette marmaille.

Après le diner, servi le plus souvent dehors sur des planches de fortune, on se calmait. On léchait la palette en attendant le moment solennel de la tire sur neige qu’on se disputait à l’aide de palettes de bois d’érable soigneusement polies par papa.

L’artisan maître du sucre c’était papa. Il savait quand il fallait retirer le sirop du feu, quand commencer le brassage dans le grand chaudron appuyé sur un fond de neige. Le moment arrivé, il versait le sucre encore liquide dans des moules de bois rectangulaires et pour les enfants il y avait de petits moules gravés de grossiers dessins où chacun voyait ce qu’il imaginait : un ours, une étoile, un mouton, un poisson etc… Ou encore chacun s’étant muni d’une coquille d’œuf pas trop endommagée l’emportait chez lui pleine d’un sucre qui durait le temps de sa gourmandise.

Vers quatre heures, le bec collé, les vêtements maculés de tire ou de suie, le visage barbouillé, on prenait le chemin du retour tous cordés dans une sleigh sans banc et tous contents. Contents d’avoir échappé impunément à l’emprise du carême et revigorés par la dynamique du chaos qui nous avait donné des ailes de liberté.

Coupe de la glace
Aux travaux d’hiver il fallait ajouter la coupe de la glace sur la rivière Nicolet à Châtillon. Souvenirs du godendard à une seule poignée et à grosses dents qui faisait son tracé dans la glace comme dans du beurre, souvenir des pinces à glace qui semblaient retenir la glace comme par magie, souvenir du poids de ces blocs de glace qu’il fallait hisser sur la sleigh puis empiler dans la remise. Un bloc de glace claire, presque transparente sur laquelle le froid s’était amusé à dessiner en arabesques les signes d’une langue étrange, d’un ailleurs mystérieux qui nous fascinait.

Ces blocs étaient recouverts de bran-de-scie et on les oubliait jusqu’à l’été. En juillet on prenait plaisir avant de les porter dans la glacière du fournil à s’y coller la joue. C’est qui endurerait le plus longtemps cet hiver de survie.

Qualifier de travail les différentes tâches qu’on accomplissait en hiver c’est un peu fausser les concepts. L’hiver était un bon temps de vie. En fait à la campagne on ne faisait que vivre tout simplement en hiver comme en été en posant les gestes et en suivant les routines qui convenaient à chaque saison.

Comme quelqu’un qui savoure un bon vin sans en connaître l’étiquette ni la provenance, on buvait la vie qui nous apportait en saison des arômes diversifiés que l’on savourait de toutes nos papilles.

Ainsi voir tomber un gros érable qu’on a pris le soin de « natcher » (encocher) au bon endroit, c’était un plaisir global qui passait bien avant le travail pénal.

Avoir une ribambelle de petits au nez morveux que l’on gavait d’œufs ou de tire ce n’était pas le pensum de mères déjà surchargées de divers boulots, c’était un temps de vie qui avait son poids d’éternité et ses cornes d’abondantes satisfactions.

Se pencher au-dessus de l’eau noire qui a pris la place du cube de glace qu’on vient de hisser sur la wâguine, malgré les han ou les vlan que cette action dégageait, ce n’était pas travailler, mais communier à une nature, se
colletailler
à l’inflexibilité de ses lois.

Fendre des bûches tout habillées du frimas des grands froids, voir les morceaux éclater sous sa cognée ce n’était pas une tâche mais autant de bouffées de fierté qui marquaient nos avenirs, nos lieux et nos temps de vie du sceau de notre personnalité.

Bref on a pu à bon droit valoriser le travail pour les bienfaits extérieurs qu’il apportait à la famille, à la santé ou à son compte de banque mais tout travail était d’abord une capsule de vie, une fibre porteuse des ondes d’une lumière ou d’un sens qu’on se saurait trouver ailleurs. La campagne et l’enfance des conditions favorables à l’éclosion de ces capsules ou à la syntonisation de ces ondes.

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Note (*) Paul (Pour Paul-Émile) est l'aîné de la famille. Nous aurons l'occasion de vous le présenter plus lognuement plus tard. Ces extraits en italique, ont déjà été publiés dans "Mémoires d'aîné" parus dans un autre blog il y a déjà quelques années.
Note (**) Il me semble que l’on disait « godendard »
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