Flo : Un petit jeu ce matin Paul-Émile. Quand tu penses à pôpa quel est le premier souvenir qui te vient à l’esprit. (*)
P.-E. : Ah! attends un peu!... Les câbles à bateau.
Flo : Parle-moi de cela.
P.-E. : Ah! attends un peu!... Les câbles à bateau.
Flo : Parle-moi de cela.
P. E. : "T’en rappelles-tu? Il y avait au moins huit gros rouleaux de corde à lieuse alignés au bas de la porte du hangar. Au travers de la porte, un solide madrier sur lequel pôpa avait fixé trois crochets de métal, recourbés sous l'enclume à la forge familiale, réunis par une chaîne qu’une manivelle permettait de tourner dans le sens des aiguilles de l’horloge. Pôpa attachait un brin de corde provenant de rouleaux différents à chacun des crochets.
Alors, toi, moi, Yolande, probablement Laurent et Berchmans, à l’aide d’un bâton pour ne pas se brûler la main, on allait en courant accrocher ce brin de corde à un crochet situé sur un train mobile à deux cents ou même trois cents pieds plus loin dépendant de la longueur du câble à fabriquer."
`Le train mobile servait à contrôler la tension du câble à faire. Plus le diamètre était élevé, plus le train devait être lourd. Il était formé d’un madrier de 12 pouces de largeur par huit pieds de longueur au bout duquel, à l’angle droit, on avait solidement cloué un autre madrier de trois pieds qui agissait comme le gouvernail de ce train-navire-mobile. À ce poste on avait fixé un seul crochet qui recevait toutes les cordes.
Le temps venu, le train était chargé de roches et d’enfants. Pour accroître la tension il arrivait aussi que l'on plantât des pieux au travers du madrier comme des socs de charrue qui s’enfonçaient dans la terre.
Chacun des trois crochets près du hangar pouvait réunir en nombre pair entre six et dix-huit brins de corde. Le nombre de brins déterminait la grosseur du câble à faire.
Pieds nus dans l’herbe naturellement, on partait à la course porter notre corde au crochet du train mobile. Papa nous encourageait à courir toujours plus vite et à revenir à la course pour passer un autre brin. Quand un rouleau de corde était épuisé papa qui surveillait le déroulement nous arrêtait d’un "WÔ!" retentissant . Il rattachait la corde à un autre ballot et hop! on repartait.
Quand chacun des crochets avait son quota de brins il était temps de tourner la manivelle qui actionnait à la fois les trois crochets fixés dans l’encadrure de la porte du hangar. Ce qui avait pour effet de tordre et de tendre chacune des tresses de corde rattachée aux trois crochets. C’était une tâche assez ardue. On se relayait pour tourner cette manivelle. Plus tard, au temps de Clément et de l’électricité, papa patenta une mécanique de torsion activée par un vieux moteur électrique qu'il avait recyclé.
Après une quinzaine de minutes de temps d'enfant, chacune des couettes, dont les cordes étaient lâches et traînaient au sol, formait un acceptable ventre d'athlète inversé comme celui des câbles à haute tension d'un pylône à l'autre.
Chacun des trois crochets près du hangar pouvait réunir en nombre pair entre six et dix-huit brins de corde. Le nombre de brins déterminait la grosseur du câble à faire.
Pieds nus dans l’herbe naturellement, on partait à la course porter notre corde au crochet du train mobile. Papa nous encourageait à courir toujours plus vite et à revenir à la course pour passer un autre brin. Quand un rouleau de corde était épuisé papa qui surveillait le déroulement nous arrêtait d’un "WÔ!" retentissant . Il rattachait la corde à un autre ballot et hop! on repartait.
Quand chacun des crochets avait son quota de brins il était temps de tourner la manivelle qui actionnait à la fois les trois crochets fixés dans l’encadrure de la porte du hangar. Ce qui avait pour effet de tordre et de tendre chacune des tresses de corde rattachée aux trois crochets. C’était une tâche assez ardue. On se relayait pour tourner cette manivelle. Plus tard, au temps de Clément et de l’électricité, papa patenta une mécanique de torsion activée par un vieux moteur électrique qu'il avait recyclé.
Après une quinzaine de minutes de temps d'enfant, chacune des couettes, dont les cordes étaient lâches et traînaient au sol, formait un acceptable ventre d'athlète inversé comme celui des câbles à haute tension d'un pylône à l'autre.
Esquisse du train mobile
Le temps des enfants commence quand la tension des câbles provoquée par la torsion est assez grande pour faire avancer le train mobile.
On a déjà réservé sa place sur le train, la première classe étant le plus près possible du crochet à manivelle pour l’instant immobile.
La première secousse ressentie à bord du train est accueillie comme l’ouverture du rideau au Metropolitan Opera. Elle suscite des cris, des acclamations et toutes les pirouettes de manifestations de joie qu’un enfant peut imaginer. Puis c’est le silence. On attend l’autre secousse comme la seconde onde d’un tremblement de terre. Alors on fait des marques dans le sol pour mesurer la distance parcourue à chaque secousse par le train mobile. Des prouesses semblables à celles qui accompagnent le glissement de la pierre d’un jeu de curling. Deux pouces, trois pouces, cinq pouces…
En tout, du point de départ au point de finition du câble, le train mobile aura parcouru une distance de vingt à trente pieds de souvenirs d’enfance à une vitesse de deux à trois secousses par cinq minutes. .
Flo : "Était-ce dangereux?"
P.-E. : "Bah! On pouvait se faire prendre un pied en dessous du madrier, débouler en bas avec les roches, se prendre les doigts dans les manivelles. Dans ce temps-là le fun avait priorité sur la sécurité."
C’est pendant la troisième phase, celle de la torsion des trois couettes en un seul câble, la trinité des trois personnes en un seul dieu, que le train mobile prendra sa vitesse de croisière. Lorsque les trois couettes étaient devenues assez tendues et suffisamment égales on installait, tout près du crochet du train mobile, un madrier percé de trois encoches en triangle et distantes d’un pouce et demi l’une de l’autre. Chaque encoche recevait une couette.
Flo : "Comment faisait-on pour tordre ces trois couettes en un câble?."
En tout, du point de départ au point de finition du câble, le train mobile aura parcouru une distance de vingt à trente pieds de souvenirs d’enfance à une vitesse de deux à trois secousses par cinq minutes. .
Flo : "Était-ce dangereux?"
P.-E. : "Bah! On pouvait se faire prendre un pied en dessous du madrier, débouler en bas avec les roches, se prendre les doigts dans les manivelles. Dans ce temps-là le fun avait priorité sur la sécurité."
C’est pendant la troisième phase, celle de la torsion des trois couettes en un seul câble, la trinité des trois personnes en un seul dieu, que le train mobile prendra sa vitesse de croisière. Lorsque les trois couettes étaient devenues assez tendues et suffisamment égales on installait, tout près du crochet du train mobile, un madrier percé de trois encoches en triangle et distantes d’un pouce et demi l’une de l’autre. Chaque encoche recevait une couette.
Flo : "Comment faisait-on pour tordre ces trois couettes en un câble?."
P.-E. :"C’est là que ça devenait compliqué. Ça prenait quelqu’un qui continuait à tourner dans le hangar, quelqu’un qui commençait à tourner la manivelle à l’autre bout à bord du train mobile et deux hommes forts pour retenir le madrier en reculant vers le hangar."
La torsion des trois couettes en un seul câble avait pour effet de raccourcir le câble donc de faire avancer notre véhicule vers le hangar. Alors la vitesse du train augmentait, les secousses se répétaient à intervalle plus rapproché, la fébrilité des enfants indiquait comme un voltmètre la haute tension du câble en processus de torsion. Un voyage de la terre à la lune n'aurait pas suscité autant d'émotions et de variétés dans la façon de les exprimer.
Le feu d’artifice
P.-E. : "Quand le madrier à encoches arrivait au hangar le câble était fait. Qu'il était beau ce cable aux couleurs d'or! Il était à la fois souple et rigide. Tu t'en souviens, on s'amusait à l'élever droit dans les airs le plus haut possible comme s'il s'agissait d'un bâton. Souple aussi, on pouvait l'enrouler en cône comme font les marins sur le pont ou lui donner au sol toutes les sinuosités dessinées par les serpents sur le sable. "
Le feu d’artifice
P.-E. : "Quand le madrier à encoches arrivait au hangar le câble était fait. Qu'il était beau ce cable aux couleurs d'or! Il était à la fois souple et rigide. Tu t'en souviens, on s'amusait à l'élever droit dans les airs le plus haut possible comme s'il s'agissait d'un bâton. Souple aussi, on pouvait l'enrouler en cône comme font les marins sur le pont ou lui donner au sol toutes les sinuosités dessinées par les serpents sur le sable. "
Et avant que le câble nous quitte pour une destination inconnue on lui faisait son apothéose. Le câble enroulé était déposé au sol. Papa l'arrosait d'un peu d'essence et y mettait le feu. Les petits poils de chaque brin de la corde à lieuse prenaient feu et transféraient leur chandelle d'un instant aux voisins qui faisaient de même. Ces petits flambeaux se reflétaient à l'infini dans les prunelles des enfants qui faisaient un rond autour du foyer et y allumaient une flamme qui ne s'éteindra plus, celle de l'émerveillement et de la fierté d'avoir participé à quelque chose de grandiose.
On aurait pu appliquer à cet événement le "sic transit gloria mundi" (Ainsi passe la gloire du monde) que l'on prononce en allumant l'étoupe lors du couronnement d'un pape, l'avertissant de ne pas trop s'en faire avec cette gloire d'être le successeur de Pierre. Mais ici le moment était à l'émerveillement non aux avertissements. Ainsi on allumait un feu qui avait l'éternité pour temps et non la vacillante flamme d'une éphémère gloire humaine.
Je n’ai vu nulle part dans le voisinage la réplique de ces instruments à production artisanale des câbles à corde de lieuse qu'on faisait tous les étés à la ferme Hormidas du Rang St-Alexandre. Je n'ai jamais non plus lu aucune narration qui rapporte l'histoire d'une rustique corde de jute venue du Bangladesh qui, dans ses enroulements et ses contorsions, allait permettre d'aussi belles croisières aux petits et aux grands voyageurs sur le train mobile de la fabrique de câbles à Lucien. Si vous en avez vu ou lu, dites-le-moi, nous fraterniserons.
Flo - " À quoi servaient ces câbles?
P.-É.- "Pôpa allait les porter à Trois-Rivières pour les bateaux".
Flo - " Peut-être que les habitants du coin en commandaient aussi pour leur grand-fourche?
P.-E. :Ça se peut ben! On faisait aussi le petit câble d'un demi-pouce qui déclenchait la fourchée de foin dans la tasserie!"
Un câble qui sert la terre et la mer! Dommage que certains s'en servent aussi pour se pendre!Triste ciel! Mais au Rang St-Alexandre on pendait surtout la crémaillère à la vie qui bat.
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Note (*) Les dessins sont des copies des fantasmes d'enfant de l'époque.
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Suite : 14 - La fille qui m'a mis à genoux
"Une maison chaude, du pain sur la table, des coudes qui se touchent, voilà le bonheur." Si la mère de notre Félix National avait connu Yvonne Houle, l'aînée d'Adélard et d'Odilie, ayant fait bourdonner la maison de ferme d'Hormidas-le-grand du rang St-Alexamdre,elle se serait répétée!
RépondreSupprimerCher Flo, tu ne seras jamais au bout de ta corde. Tu trouves toujours de l'espace où t'élancer. Ce long prétexte « pas tordu » nous parle de corde de jute, de câble de Jut'-ras, tout en lien avec le bonheur de ''jouer à un jeu » que l'adulte s'empresse de nommer travail. Ce dernier parle de « corde de lieuse » alors que vous tissiez du chanvre du Bengale. L'apothéose de ton tissu d'enfance ne nous amène-t-il pas aux feux de Bengale?
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