6 juin 2009

14 - La fille qui m'a mis à genoux

Je me souviens peu de ce que j’ai appris à l’école ni de quelle façon on apprenait. La petite école du rang St-Alexandre réveille plutôt le souvenir de mes frasques.

En voici une vécue dans les trois temps d'une tragédie.

Premier acte : L’amitié, un rayon de soleil dans la vie

J’avais un ami. Il s’appelait René. Les autres étaient des compagnons de jeux ou de bêtises.


Lui, il venait du bout du rang. Je l’attendais pour aller à l’école. Quand il était là, pas question d’agacer les filles. De courir à toute vitesse devant elles pour les impressionner.

Nous étions entiers l’un pour l’autre. On parlait de tout et surtout de rien.. Les idées et les connaissances fourmillaient. On se racontait, tout en s’écoutant.
L’amitié était venue comme cela, naturelle comme un rayon de soleil. Un matin d’école, on avait cheminé ensemble. Comme des adultes. En ligne droite. Et depuis, ce fut de même tous les matinset tous les midis. .

Quand on arrivait sur la cour de l’école, nous jouions ensemble avec quelques autres. À la tag ou à des pirouettes d’adresse, de saute-moutons ou de gambades non encore reconnues épreuves olympiques. . Quand la cloche sonnait, on était les premiers à prendre nos rangs chacun sur sa ligne.

Il était plus jeune que moi. Probablement en quatrième alors que j’étais en cinquième. Sa sœur. Marie-Paule, était dans ma division. Un groupe de trois ou quatre élèves. À ma dernière année à St-Alexandre, nous étions sa sœur et moi les deux seuls du rang à faire la huitième. Nous occupions le même banc double en arrière de la classe. Aux bulletins mensuels, elle se classait généralement avant moi. Elle à la tête et moi à la queue. Mais quand René était dans les parages, Marie-Paule comptait peu. Elle se fondait dans le clan adverse, celui des filles.

Après l’école, avant le train de cinq heures, notre amitié explorait notre univers. Nous allions dans le bois de bouleaux au bout de leur terre, sous prétexte d’observer les pistes de lièvres qui, disait-on, forniquaient copieusement en ces lieux. Ou on débusquait, pour les manger, les cerises que les oiseaux de l’été nous avaient laissées.

D’autres jours, quand on en trouvait, on se beurrait les joues et les lèvres de gueules, petit fruit bleu-noir un peu acre qui poussait en bordure des fossés.(*) Chance nous favorisant, nous dégustions quelques noisettes aux piquants desséchés. Plus tard, après une première gelée, on se couchait la bouche ouverte sous un cenellier espérant qu'une pluie de ce fruit rouge, dernière gâterie de l’automne, nous tombe dans la bouche.

On allait aussi voir les animaux, s’amuser avec eux, les petits veaux qui avaient pris du lait et de la taille, la truie et sa douzaine de petits que l’on contemplait sans les déranger.

On n’allait pas voir les poules. Il n’y avait rien à faire là excepté au printemps à la saison des poussins.

Et chose curieuse, le dimanche on ne se voyait pas. Je ne sais même pas où était leur banc à l’église. Et je crois qu'ils dételaient en haut de la côte à une écurie de leur parenté . Et le dimanche après-midi était un temps réservé à la visite, pas à l’amitié.

Bref, l’amitié cadrait notre discipline, stimulait nos pensées et monopolisait nos temps de vie et nos attentions réciproques.
Il était mon ami. J’étais le sien. Du moins je le pensais.

Acte II - Un nuage de conflit

Quelle en avait été la raison ou l’occasion? Je ne saurais le dire. Probablement un simple ajustement inévitable de nos plaques tectoniques ou le déséquilibre d’une avalanche qu’un simple souffle peut déclencher.

Je me souviens seulement que le lendemain de ce jour fatidique j’allais à l’école seul, les deux mains dans les poches. Je n’avais pas attendu René et il n’avait rien fait pour m
e rejoindre. On était brouillé. Comme des œufs qui ont perdu leur identité.

J’avais les deux mains dans les poches car elles étaient pleines de clous. Des clous à bardeaux à grosse tête que je projetais de m’insérer entre les doigts avant de le tapocher
. Un cas de meurtre prémédité.

J’avais oublié comment on en était venu là, mais pas ma vengeance, Une montée de sang incontrôlable, il fallait l’assouvir copieusement et de belle façon, au vu et au su de tous.

Probablement qu’à un jeu de
bras-le-corps (on disait "brassecor") même plus jeune et plus petit que moi, René m’avait renversé. Les yeux de tous en faisaient l’humiliation suprême. Un clin d’oeil peut ébranler une amitié bien assise depuis des ans et muer en vengeance sanguinaire les relations qu'elle avait créées. C’est ce qui allait se produire. Dans ces moments, on n’a d’yeux que pour sa vengeance. Nos liens d’amitié pourtant solidement noués avaient fondu comme de la cire sous le feu.

Nous avons donc fait chacun de notre côté de la route et en distance l’un de l’autre le demi kilomètre qui nous séparait de l’école. C’était l’après-midi. Toutes les filles et la plupart des garçons étaient arrivés. Camille Jutras mon cousin, Dormino Proulx de l’autre bout du rang, le placide Yvon Houle, Bertrand Courchesne qui m’en imposait, Onil Leclerc etc….sans compter les petits, Julien Courchesne, le petit de Réul et Simon Proulx, le frère de l’autre, qui comptaient peu. De même Paul-Émile, Laurent et Berchmans mes frères, que j'avais fait disparaître comme dans un nuage pour qu'ils ne soient pas témoins de ce qui allait suivre et qu'ils n'aillent pas bavasser.

3e Acte L’orage éclate

La pression est au "max" comme on dirait aujourd’hui. René et moi, on se côtoie sans
se voir ou vice versa. Tout à coup, les électrodes se touchent. Les coups suivent instantanément les flammèches.

On est l’un sur l’autre virevoltant dans la poussière. Comme mouches autour d’une plaie, toute l’école fait cercle. Les commentateurs novices aiguisent leur carrière. Sans ligne de partie, on encourage ou on vilipende.


Je n’ai pas eu le temps de me glisser les clous entre les doigts. Ma fureur n'en est que plus vive. Je tapoche à poings nus.

La maîtresse du haut, la Simone, sort avec sa cloche. La cloche est comme débranchée. Elle ne réussit pas à former les rangs. De concert, les deux maîtresses comme deux lutteuses de dernier appel entrent dans l’arène et s’interposent. Elles réussissent à nous séparer. J’ai eu le dessus. Je crâne. René saigne. Saigne abondamment.

Pour éviter la suprême catastrophe, celle de la dégringolade de son autorité, la Simone sort le remède passe-partout qui devrait comme un saint-chrême panser les plaies. Il a déjà fait ses preuves en d'autres circonstances.


Elle me tient à l’épaule par le chandail (le "sweater" comme on disait alors). D’un coup d’épaule je m’arrache à sa prise. Elle me reprend plus fermement. Je devine ce qui va venir. Jamais!

En mon for intérieur je me durcis au feu de ma colère comme les guerriers durcissaient la pointe de leur javelot avant la bataille. Non, il n’en est pas question. Je ne me mettrai pas à genoux, je ne demanderai pas pardon. Un silence de mort plane.

« Tu vas te mettre à genoux et demander pardon » répète la Simone. » Quelques chuchotements percent le silence. On pourrait entendre les mouches prendre les paris. Se mettra-t-il à genoux?

Le cercle s’est défait. Maintenant toute l’école est en demi-lune. Je suis face à tous, comme sur les planches d’un grand théâtre. Seul avec la Simone qui me tient de main ferme.

René? je ne sais plus où il est. Je ne lui en veux plus. Un anonyme dans la mêlée. Ce combat n’est plus le sien, c’est le mien. J’ai gagné la première manche mais la véritable bataille, celle dont on se souviendra, est là devant moi toute
piaffante dans l'attente du son du cor.

C’est moi et mon honneur qu’il faut sauver. Disons plutôt moi et ma face, terme plus approprié à notre culture d’habitant que « honneur » qui sent l’empesé de la haute. Le monde est en suspens. To be or not to be!

On chuchote de plus en plus, Simone me presse de plus en plus, je crâne de plus en plus.

Au dessus du murmure général une petite voix claire, féminine, toute timide, perce les sons graves c
omme une clarinette, le battement des tambours.

« Il est ben trop têtu pour se mettre à genoux » dit Marielle Dionne debout dans sa robe noire, plissée, de couventine, au collet blanc empesé au "cornstach".


Cette frêle voix pénètre tous les pores de mon orgueil endurci. Elle enfonce les barricades de ma résistance. Mes forteresses aux créneaux acérés s’éffritent.

Je tombe sur mes genoux, la tête basse, le regard à terre comme un pénitent repentant, je marmonne d’une voix à peine audible mais qui arrache toute mon énergie, « Je d’mande pardon ».




Épilogue

Tout rentre dans sa routine comme après un bon cinéma. Les petits prennent leurs rangs en avant, les grands sur le côté. On fera de l’arithmétique, peut-être aussi de la géographie sûrement pas du dessin. Et moi je n’ai pas le cœur à distribuer des capitales sur des pays inconnus. Le mien est dévasté à tout jamais.

Je n’ai jamais reparlé à Marielle Dionne qui ne m’était pas très proche. Une autre fois j’ai croisé le fer avec la Simone, on en reparlera. L’année d’après, elle était remplacée par Antoinette qui est devenue peu après ma tante.

Notre amitié à René et moi a repris comme le soleil après la pluie. Puis, la vie nous a séparés. Dernièrement je le revoyais. Je lui ai rappelé cet incident. Il ne se souvenait plus de rien. Moi je garde ce souvenir enveloppé comme dans un écrin, Une plaie profonde, une blessure de guerre. Mon Waterloo. Jamais plus femme ne me fera plier les genoux m'étais-je dit alors.

Ma détermination a tenu le temps pendant près de trente ans. Elle est tombée à zéro ces derniers temps alors qu'on on ne se met plus à genoux pour demander pardon. Ça se fait tout bonnement sur l'oreiller. C'est une toute autre histoire qu'un orgueil de néophyte dégonflé par une banale remarque d'une innocente fillette, À l'un de ces jours!

Cette histoire probablement éditée à plus d'un exemplaire, commune à plus d'un enfant m'a quand même appris qu'un mot, comme la foi, peut déplacer les montagnes. Peut-être y avait-il une foix féminine jointe au son des trompettes qui ont renversé les murs de Jéricho?

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La cour de l'école du rang St-Alexandre (**)

Austérité et parcimonie

Je ne veux surtout pas me disculper de ma sanglante agression de mon ami René sur la cour d’école et pour laquelle j’ai demandé un humiliant pardon. Elle aurait pu se produire dans toute cour d’école même la mieux fournie en appareils de jeu et la mieux adaptée à l’énergie des jeunes mâles en croissance.

Cependant, revoyant l’événement du haut de mes 80 ans ou presque, je dois reconnaître que les lieux et
toute l’organisation scolaire de la petite école du rang St-Alexandre et aussi de toutes les petites écoles rurales du Québec d’alors étaient fort précaires

Dans mes souvenirs, la cour d’école de mon enfance n’a rien de remarquable. Un petit enclos rogné sur la terre en pacage de M. Arthur Leclerc. Rien d’un parc, ni d’un terrain d’amusement, ni d’un jardin. Une clôture de piquets de cèdre retenus par quatre rangées de broche piquante comme pour les enclos à vaches du voisinage. Un barbelé réduit. Pas de fleurs, pas de carré de sable, aucun appareil à grimper, juste un puits et sa brimbale sur le bord de la route. Une route de terre avec ses trous qui recueillaient l’eau et se transformaient en vase gluante et son sable qui nous enveloppait de son nuage ocre à chaque passage d'une wâguine ou d'un buggy.


Un lieu sans âme où le matin et le midi erraient comme du bétail un certain nombre d’enfants avant le son de la cloche qui les alignait sur deux rangs, devant l’entrée, les garçons d’un côté et les filles de l’autre.

Cette cour, un reflet de la parcimonie généralisée de l’époque imposée par la guerre et coulée en de nombreuses et profondes traditions. Partout c’était la règle du minimum et du juste nécessaire qui prévalait.

Il aurait été futile même de penser à y installer des balançoires, d’y planter des fleurs ou d’y organiser des espaces de jeu. L’école c’était sérieux, le jeu, même celui des enfants. n’était que toléré. Il ne figurait pas dans les valeurs du temps.

Les écoles étaient gérées par la commission scolaire de la paroisse. Ses seuls revenus, les taxes scolaires que devaient payer tout propriétaire terrien domicilié à St-Zéphirin. Pas de subvention de Québec ni de pro rata qui nivelle les coûts. Ainsi il y avait au Québec des commissions scolaires pauvres et des moins pauvres. De grandes terres, peu de propriétaires, beaucoup d’enfants. Cette situation maintenait la minceur du budget et réduisait les commissaires au rôle de surveillant des dépenses.

On payait aux institutrices des salaires de crève-faim et on négociait serré les suppléments inscrits au contrat : logement, chauffage, éclairage. L’institutrice, qui habitait généralement l’école, devait souvent fournir son bois de chauffage et son huile à lampe.

La première école du rang a été construite vers 1870 sur la ferme de E
rnest Allard. Mon grand-père et mon père l'auraient fréquentée. Elle est encore debout au même endroit, Après sa fermeture en 1929 elle a servi de "soue" à cochons pour devenir un hangar de rangement. En cette année là, nous dit Paul Leclerc, qui est fort crédible, on a construit, en plein centre du rang, comme le spécifiait la loi, l'école que nous avons tous fréquentée. Dans mon temps plus d’une quarantaine d’élèves y étaient inscrits. La classe des tout petits (de la préparatoire à la quatrième année) occupait le premier plancher. Les « grands » de la cinquième à la huitième occupaient le deuxième étage.

La diminution du nombre d’élèves due à la baisse de la natalité se fit sentir dès les années 50. La classe des petits étant moins nombreuse on la logea en haut alors que les plus grands descendirent en bas. En 1955, on ferma l’étage supérieur pour ramener les sept divisions en une seule classe à l’étage du bas. Ma sœur Lyse fut la dernière de la famille à fréquenter l’école jusqu’à la fin de sa sixième année en 1959 (*) et la première à « jouir » du transport scolaire par autobus à l’école du village.

Toute en bois, lambrissée de déclin peint jaune-drable aux encoignures plus foncées, elle était jolie avec son toit grisonnant en bardeaux de cèdre, ses six hautes fenêtres, ses six petites lucarnes et au bout sa cheminée de briques rouges qui ponctuait le toit à l'extrémité nord.

Le plancher du haut était réduit du tiers pour le logement des institutrices. Celui du bas était coupé d’une demi-cloison qui séparait la classe de l’entrée. L’entrée servait de vestiaire sans case avec des crochets aux murs. À l'extrémité droite du vestiaire, un escalier donnait accès à la classe du haut. À gauche le vstiaire donnait sur deux toiletttes, mieux vaut dire des bécosses, à évacuation-nature, (sans fosse septique).

Au c
entre de la classe du bas une petite truie qui pouvait contenir à peine trois quartiers d’érable et qu’on alimentait par le haut, chauffait toute l’école. Son tuyau montait tout droit réchauffer la classe du haut et se rendait jusqu’au fond, porter sa chaleur au logement des maîtresses.

Les planchers portaient la marque du temps, de gros nœuds rouge-brun qui avaient résisté à l’usure en ressortaient comme des verrues.

Les murs, probablement isolés selon la mode du temps avec de la ripe entre les colombages étaient recouverts de lattes de pin embouvetées.

Les seules fournitures scolaires qu’assurait la commission pour toute l’école c’était les craies de tableau et de l’encre pour chacun des encriers insérés au centre des pupitres à double place. Cette encre bleu-indigo qui tachait les doigts et qu’on retrouvait gelée chaque lundi matin d’hiver. Peut-être que la commission fournissait-elle aussi, avec la contribution du curé et de ses âmes charitables, les prix de fin d’année.

Henry Milner, dans son étude sur la réforme scolaire au Québec souligne cette précarité des budgets des commissions scolaires.

L'emploi des femmes, comme celui de religieux et de religieuses (45 % du corps enseignant en 1898), obéissait d'abord à un souci d'économie. Comme l'État n'assumait qu'une part infime des frais de l'éducation (4 $ millions des 32 $ millions affectés à l'éducation en 1929)
[1], le gros du budget provenait des taxes foncières et des frais de scolarité. Tiré de Réforme scolaire au Québec par Henry Milner ) p.22.

Cette parcimonie ou cet esprit de « gratteux » s’étendait à tout ce qui touchait au domaine scolaire. Comme une patine collée aux meubles, une tenace tradition du minimum déterminait en matière scolaire les attitudes et les décisions de la commission, celles des parents et souvent même celles des institutrices.

Les livres et les cahiers d’école étaient à l’entière charge des parents. Ils étaient réduits au minimum et devaient durer tout le cours primaire.

Avant la rentrée, maman s’évertuait à couvrir les livres et les cahiers avec du papier brun d’emballage qu’elle avait récupéré. Ces couvertures étaient tenues, sans broche ni « scotch tape ». par de la colle de farine qui servait aussi à réparer les reliures endommagées et à recoller les pages qui s’en détachaient.

Les livres d’école se transmettaient des plus grands aux plus petits et souvent d’une famille à l’autre.

Il y avait deux types de cahier d’école en usage dans le temps. Le cahier à papier glacé pour l’écriture à l’encre, dans lequel on faisait les devoirs à la maison. Ce cahier s’ornait parfois d’étoiles ou d’anges. C’est lui que l’on montrait à la visite si la plume avait tracé une écriture pas trop en « pattes de mouches » et avait suivi son parcours sans trop dégobiller.

À l’école on avait un cahier brouillon à deux lignes (de la première à la quatrième année) et à une ligne quand l’écriture pouvait s’y tenir en équilibre comme un « bécycle » sur ses deux roues. Dans mes premières années, une ardoise remplaçait les cahiers. Il suffisait alors d’un petit bâton d’ardoise, qui souvent « grichait », pour y inscrire toutes ses écritures et d’une guenille pour les effacer.

Toute rentrée scolaire coûtait quelques dollars pour les cinq ou six enfants de chaque famille qui fréquentaient l’école. Ces coûts nourrissaient les commentaires du mois de septembre.

Cet esprit de parcimonie faisait aussi qu’on allait à l’école nu-pied jusqu’au début d’octobre.

Je me souviens d’une crise déclenchée dans la famille par une maitresse qui avait osé innover en demandant aux parents d'acheter un transparent à leurs enfants. Cette feuille à lignes noires obliques que l’on plaçait sous la feuille à écrire afin de donner à toutes les lettres une pente uniforme. Ce transparent coûtait une cenne noire. Naturellement il en fallait un par enfant. Mais ce transparent à une cenne avait touché une corde sensible. « C’est pas nécessaire » disait papa qui arguait aussi que ça n’existait pas dans son temps d’école. Il fallut le doigté de maman pour que la crise n’aille pas plus loin et qu’on bénéficie, comme les autres élèves du rang, de la grande innovation du siècle, un transparent à barres obliques noires!

Ce qu’on entendait des adultes qui parlaient de l’école autour d’un crachoir ou assis sur une bûche à la forge, est bien révélateur de cette mentalité du temps.

On dit que la nouvelle maîtresse est sévère. Les enfants qui n’ont que le jeu dans la tête vont se faire « mette » à « leu » place, Y vont fair une bonne année. »

Mon garçon, y aime pas l’école. Y n’a que l’jeu dans'a tête.

L’école c’est pas une place pour jouer. C’est un endroit pour apprendre à lire et à compter en attendant de pouvoir travailler.

Les enfants d’aujourd’hui n’ont que le jeu "danstête". Dans not’e temps après deux ans à l’école on savait lire et compter »

Dans cette atmosphère générale, demander aux commissaires ne fut-ce qu’un ballon ou un bâton de base-ball pour agrémenter les récréations c’était malvenu. On devinait d’emblée l’argument de l’opposition : « Trop dangereux de casser les vitres » !

Une institutrice n’était pas formée à organiser des jeux pour les enfants. Les filles ne pratiquaient aucun sport, c’était contre nature.

Que faisait-on pendant les récréations? Réponse : Rien.


Les garçons jouaient parfois à la tag ou pratiquaient « une espèce de foot-ball sans ballon, le touchy wygee » nous dit Paul Leclerc. La plupart du temps ils se couraillaient et se chamaillaient. Le jeu de billes, qui envahit les cours d’école de ville au printemps était alors inconnu dans le rang St-Alexandre. En hiver, on sautait les piquets de clôture à s’en accrocher le fond de culotte.

Les filles dansaient à la corde ou se regroupaient près du perron et placotaient. Parfois l’une ou l’autre traçait des carrés dans le sable et à tour de rôle elles sautaient su
r une jambe ou sur deux selon des règles transmises par tradition orale. « Le but c’était d’arriver au ciel », se rappelle Lise. Plus tard, (quand on aura un peu de culture!) on apprendra que les filles jouaient alors à la marelle.

Quan
d on sonnait la petite récréation, en rang et en silence on passait aux toilettes, puis on buvait une tasse d’eau puisée à même la "chaudière", on remettait la tasse au suivant qui attendait son tour(***) et on sortait dehors attendre l’autre son de cloche de la fin de la récréation. On reformait alors les rangs pour la deuxième partie du programme. Non il n’y avait rien de militaire là dedans, tout était NOR-MAL.
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant qu’il y ait eu des batailles dans la cour d’école. C’était un spectacle pour tous et la soupape d’un trop plein d’énergie pour les garçons qui les initiaient.


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Photos d'élèves en 1945 Photos vers 1941





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(*) Je n'ai trouvé nulle part une définition du mot "gueule" qui référait à ce petit fruit commun dans la région de mon enfance. Appel à tous.


(**) École du rang St-Alexandre Photo et note de Thérèse Leclerc
Cette école a été achetée par Florian Lemaire, fils d’Alfred Lemaire du Rang Ste-Geneviève. Il était marié à Aline Lemaire, décédée et soeur de Denis et Réal, prêtres (je crois, vos cousins).

Cette école est devenue pour les porcs une belle porcherie (en québécois, « une soue à cochons), J’espère qu’ils ont appris à lire… avant de « grogner » .
NDLR: S'il vous arrive de renconter un porc qui sait lire, dites-vous qu'il est sûrement passé par la petite école du rang St-Alexandre,

(***) Les programmes de lutte aux virus ou de contrôle des bactéries n’étaient pas au point. Pourtant on avait un manuel d’Hygiène, de Bienséance et de Civisme.
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2 commentaires:

  1. Délicieuse anecdote!

    Ayant fait mon école 'élémentaire' chez les Soeurs et chez les Frères à Acton Vale et à Drummondville, je n'ai pas fréquenté l'école de rang. On m'en a souvent parlé cependant, mais en des termes que, étonnamment, je ne trouve pas dans le deuxième texte. Autorité et discipline, oui; mais, parcimonie? J'ai plutôt entendu raconter comment, avec peu de moyens et parfois 'd'instruction', les 'maîtresses d'école' du temps ont fait preuve de générosité, d'ingéniosité, de dévouement. Parcimonie? Austérité, peut-être : cette austérité, d'ailleurs généralisée chez 'le pauvre monde', imposée par les deux Grandes Guerres et leur après... École austère, mais donnant souvent d'étonnants résultats : ma mère, qui a regretté jusqu'à sa mort 'de n'avoir qu'une troisième année', écrivait bellement et pratiquement sans fautes...

    À mon humble avis, ce sont les gouvernements d'aujourd'hui qui font preuve de parcimonie en sous-finançant l'éducation, une parcimonie d'autant plus impardonnable qu'ils savent, eux, que l'acquisition de connaissances et de compétences, c'est important en 2009, aussi important que ne l'étaient dans le passé le savoir-faire et le savoir-faire-ensemble. Impardonnable parce qu'ils ont, eux, l'argent pour y investir (qu'ils préfèrent affecter à d'autres 'priorités' que je préfère ne pas commenter ici...)

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  2. Bonjour Jean!
    Tes commentaires ne me surprennent pas. Un côté de la médaille est aussi vrai que l'autre. Il est vrai que la p'tite école a fait des merveilles et que les institurices avec les moyens du bord assez réduits ont développé la curiosité et le goût de la connaissance dans un milieu où le travail de la terre était une priorité de survie qui souvent faussait le jugement et absorbait la grande part des énergies.

    Il est vrai aussi que dans ce temps-là plus qu'aujourd'hui peut-être la source de la parcimonie en matière scolaire venait de l'état. En disant l'état dans le cas des canadiens-français il faut parler de l'Église. Elle a contrecarré toutes les initiatives de prise en charge de l'éducation par l'état. Elle a souvegardé la foi. si on entend par ce terme les prières en latin et le savoir par-coeur du petit catéchisme de Québec, et maintenu dans son giron un peuple qui aurait pu s'effriter par acculturation, c'est vrai mais à quel prix? Par rapport au secteur anglophone le Québec français a toujours eu beaucoup de retard en matière d'éducation.Pour s'en convaincre il faut lire le rapport de H. Milner sur la Réforme scolaire. Ce retard est attribué à la minceur des ressources qui a un lien direct avec les luttes de juridiction entre l'Église et l'État.

    Il faut reconnaître aussi l'importance des transformations des attitudes et des façons de faire dans la même petite école du rang St-Alexandre qu'on fréquentée mes frères et oseurs plus jeunes après la guerre. L'ouverture s'est manifestée à plusieurs niveaux, on était plus sensible à l'enfant et à ce qu'il vivait, il y avait plus de jeux ou d'activités particulières et on avait même, sans vergogne un certain plaisir à apprendre et à aller à l'école. C'est le reflet que je reçois à leur dires.

    Y -a-il un mythe de la petite école condensée principalement par "les Filles de Caleb" et Émilie Bordeleau? Je le crois. On n'a jamais eu pendant que j'étais à la petite école, de fête de Noël, d'invitation aux parents, de célébrations ou de particiation à tes temps forts de la vie communautaire.

    Il y a peut-être eu plus qu'une petite école. Celle que j'ai fréquentée, et dans le temps je ne me'en rendais pas compte, c'était net, fret et sec. Et tu verras la semaine prochaine que le "par-coeur" y prenait toute la place de l'intelligence.

    Ce jugement peut-être sévère ne m'empêche cependant pas de penser et d'écrire mes souvenirs de la petite école avec une émotion certaine et qui ne manque de chaleur.

    Florian

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