C’était après les foins et avant les récoltes. Nous n’avions rien à faire. Les bleuets n’étaient pas encore mûrs. L’errance en quête de cerises ou de je ne sais de quelle aventure.
Nous étions trois ou quatre garçons; pas de filles dans ce genre de « nowhere » : Paul-Émile, Laurent ou Berchmans et moi. Nous avons marché et marché sans que personne d’autre ne joigne notre groupe. Tout le rang y passa, les Leclerc, les Proulx, les Houle, les Gardner, les Courchesne et même la maison un peu reculée des Moulin dont on ne connaissait que peu de choses. Et le long champ dépouillé de ses foins jusqu’à la rivière Nicolet, à Chatillon. Là, nous avons pris la gauche, dédaignant le moulin à farine qui pourtant offrait habituellement beaucoup d’intérêt. Peut-être nous sentions-nous un peu en marge des attentes non formulées de l’autorité parentale. Un cas de clandestinité précoce.
D’audace en audace, comme accrochés par notre délinquance, nous traversons un champ en pacage. Bientôt, on se retrouve sur le bord de la rivière Nicolet. À cet endroit, l’eau nonchalante folâtrait entre de grosses roches. Sur les bords de sa route, le courant s’était aménagé des aires de repos qu’il bordait d’écume blanche. L’eau noire, drapée de bleu et de blanc aux couleurs du ciel, nous attire comme un mystère. Sur la rive, des cailloux noir-gris aux arêtes arrondies par le temps. Les faire jouer à saute-mouton sur l’eau, quelle fascination!. Deux, trois , quatre bonds. Qui dit plus?
Une grenouille, son périscope à deux yeux à fleur d’eau, nous épie. Elle déclenche chez nous des stratégies instinctives de capture. Berchmans, plus rapide, la tient entre ses doigts. Après des manipulations de torture pas trop avouables, elle finira ses jours la tête aplatie sur une roche. Cet âge est sans pitié!
Comme pour se purifier, on revient à l’eau. Elle joue avec nous et nous avec elle. Stimulée par nos gambades, elle jaillit de son lit comme champagne de sa bouteille. Elle nous monte à la tête, nous ensorcelle. Sans trop nous en rendre compte, nous succombons à ses charmes.
Pour ne pas revenir à la maison avec des vêtements mouillés, nous les enlevons et les déposons sur les buissons qui bordent la rive. Ce n’était pas compliqué, nous étions déjà nu-pieds et dans le temps on ne portait pas de sous-vêtements en été.
Nous avons pataugé dans notre péché assez longtemps pour perdre la conscience du temps. Avoir de l’eau jusqu’au cou, sauter de roche en roche, sentir sur la peau la pression du courant, suivre les poissons qui zigzaguent leur chemin, nous asperger mutuellement de cette eau bénite: l’innocence qui goûte les fruits du paradis.
La conscience du temps s’éveille avec le soleil qui descend. La mauvaise conscience aussi de notre désobéissance. C’est le temps d’aller chercher les vaches. Sûrement, à cette hauteur, le soleil a déjà signalé notre absence.
C’est au pas de course, sans faire nos adieux à notre hôtesse, que nous nous hâtons de prendre nos vêtements pour un retour précipité. Surprise! Disparus! Alors nous réalisons, comme nos premiers parents, que nous sommes nus. Comme eux, nous voilà couverts de honte. Pris de panique, nous nous cachons dans les buissons. Qui a bien pu nous faire un tel coup?
Un premier indice oriente nos interrogations. Un chandail tout fripé pend nonchalamment sur une branche. Laurent le reconnaît, c’est le sien. Levant les yeux, une scène d’horreur nous terrifie. À quelques pas de nous, placides, hébétées de notre désarroi, trois vaches nous regardent tout en mâchouillant nos vêtements. La bave coule le long des culottes qui pendent de la gueule de la blanche. Une brune aura bientôt terminé de trouer les mailles de mon chandail. Une autre culotte git dans l’herbe comme abandonnée après un passage dans la moulinette.
Faire lâcher une culotte à une vache qui la savoure comme une gomme à mâcher n’est pas chose facile. Il fallut quelques gaules et plusieurs courses à travers le champ avant de récupérer tous nos biens.
Il n’était pas question d’aller laver ces lambeaux à la rivière ni d’emprunter la route pour le retour à la maison. Un ange avec son épée de honte nous condamnait à faire notre chemin loin des habitations, comme des lépreux couverts de plaies purulentes. Sautant les clôtures à la dérobée, nous cachant dans les fossés, faisant mille détours pour éviter d’alerter les chiens aux aguets, nous finîmes par atteindre le pacage qui aboutissait à notre étable.
Plusieurs vaches, déjà traites, étaient revenues dans le clos. Je ne me souviens plus de l’accueil que nous avons reçu à la maison. Probablement que notre état de victime suscita plus les sourires et la pitié que la colère, ou les réprimandes.
Par la suite, les vaches de Châtillon, entrées dans la légende, comme le serpent du paradis terrestre, ont pris le blâme de cet événement. Beaucoup plus tard, quand j’ai lu dans le texte le récit du péché originel, au troisième chapitre de la Genèse, la honte de nos premiers parents nus m’est apparue comme une réédition de celle que nous avions d’abord connue devant les vaches de Châtillon.
D’audace en audace, comme accrochés par notre délinquance, nous traversons un champ en pacage. Bientôt, on se retrouve sur le bord de la rivière Nicolet. À cet endroit, l’eau nonchalante folâtrait entre de grosses roches. Sur les bords de sa route, le courant s’était aménagé des aires de repos qu’il bordait d’écume blanche. L’eau noire, drapée de bleu et de blanc aux couleurs du ciel, nous attire comme un mystère. Sur la rive, des cailloux noir-gris aux arêtes arrondies par le temps. Les faire jouer à saute-mouton sur l’eau, quelle fascination!. Deux, trois , quatre bonds. Qui dit plus?
Une grenouille, son périscope à deux yeux à fleur d’eau, nous épie. Elle déclenche chez nous des stratégies instinctives de capture. Berchmans, plus rapide, la tient entre ses doigts. Après des manipulations de torture pas trop avouables, elle finira ses jours la tête aplatie sur une roche. Cet âge est sans pitié!
Comme pour se purifier, on revient à l’eau. Elle joue avec nous et nous avec elle. Stimulée par nos gambades, elle jaillit de son lit comme champagne de sa bouteille. Elle nous monte à la tête, nous ensorcelle. Sans trop nous en rendre compte, nous succombons à ses charmes.
Pour ne pas revenir à la maison avec des vêtements mouillés, nous les enlevons et les déposons sur les buissons qui bordent la rive. Ce n’était pas compliqué, nous étions déjà nu-pieds et dans le temps on ne portait pas de sous-vêtements en été.
Nous avons pataugé dans notre péché assez longtemps pour perdre la conscience du temps. Avoir de l’eau jusqu’au cou, sauter de roche en roche, sentir sur la peau la pression du courant, suivre les poissons qui zigzaguent leur chemin, nous asperger mutuellement de cette eau bénite: l’innocence qui goûte les fruits du paradis.
La conscience du temps s’éveille avec le soleil qui descend. La mauvaise conscience aussi de notre désobéissance. C’est le temps d’aller chercher les vaches. Sûrement, à cette hauteur, le soleil a déjà signalé notre absence.
C’est au pas de course, sans faire nos adieux à notre hôtesse, que nous nous hâtons de prendre nos vêtements pour un retour précipité. Surprise! Disparus! Alors nous réalisons, comme nos premiers parents, que nous sommes nus. Comme eux, nous voilà couverts de honte. Pris de panique, nous nous cachons dans les buissons. Qui a bien pu nous faire un tel coup?
Un premier indice oriente nos interrogations. Un chandail tout fripé pend nonchalamment sur une branche. Laurent le reconnaît, c’est le sien. Levant les yeux, une scène d’horreur nous terrifie. À quelques pas de nous, placides, hébétées de notre désarroi, trois vaches nous regardent tout en mâchouillant nos vêtements. La bave coule le long des culottes qui pendent de la gueule de la blanche. Une brune aura bientôt terminé de trouer les mailles de mon chandail. Une autre culotte git dans l’herbe comme abandonnée après un passage dans la moulinette.
Faire lâcher une culotte à une vache qui la savoure comme une gomme à mâcher n’est pas chose facile. Il fallut quelques gaules et plusieurs courses à travers le champ avant de récupérer tous nos biens.
Il n’était pas question d’aller laver ces lambeaux à la rivière ni d’emprunter la route pour le retour à la maison. Un ange avec son épée de honte nous condamnait à faire notre chemin loin des habitations, comme des lépreux couverts de plaies purulentes. Sautant les clôtures à la dérobée, nous cachant dans les fossés, faisant mille détours pour éviter d’alerter les chiens aux aguets, nous finîmes par atteindre le pacage qui aboutissait à notre étable.
Plusieurs vaches, déjà traites, étaient revenues dans le clos. Je ne me souviens plus de l’accueil que nous avons reçu à la maison. Probablement que notre état de victime suscita plus les sourires et la pitié que la colère, ou les réprimandes.
Par la suite, les vaches de Châtillon, entrées dans la légende, comme le serpent du paradis terrestre, ont pris le blâme de cet événement. Beaucoup plus tard, quand j’ai lu dans le texte le récit du péché originel, au troisième chapitre de la Genèse, la honte de nos premiers parents nus m’est apparue comme une réédition de celle que nous avions d’abord connue devant les vaches de Châtillon.
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L’autorité parentale dans mon enfance
J’essaie de cerner les traits de l’autorité parentale pendant mon enfance. L’image que je me fais de cette autorité est doublement conditionnée.
D’abord, le fait qui peut changer la couleur des souvenirs: je suis parti de la maison à l’âge de treize ans et demi et n’y suis retourné que cinq ans plus tard, pour dix jours, ensoutané, idolâtré. J’ai ainsi contourné le temps critique des affrontements avec l’autorité parentale. Je ne me suis pas fait les dents sur eux. C’est en dehors de leur autorité que j’ai accédé à mon autonomie personnelle. Je les ai plus idéalisés que confrontés. Voilà un filtre qui peut modifier le souvenir de mes relations avec mes parents.
Autre donnée à rappeler en préambule, la relation parents-enfants empruntait à cette période des patterns fort différents de ceux qu’on privilégie aujourd’hui. Autre temps autre mœurs !
Dans les années 40, le consensus social en regard de l’autorité penchait plus vers la valorisation de la sévérité et de la rigueur que de la compréhension et de l’écoute. Un père se devait de corriger son enfant, de le punir, d’exiger une obéissance totale sans, réplique. On était encore sous le régime du « Qui bene amat bene castigat ». (Qui aime bien châtie bien).
Et comme corollaire, il fallait à tout prix éviter de donner des caprices aux enfants, de les gâter. Un de mes oncles disait qu’il ne fallait pas bercer un enfant, même s’il pleurait, quand il était tout jeune. Je ne me souviens pas d’avoir jamais employé envers mes parents l’expression aujourd’hui passe-partout « Je t’aime ». Eux, leur amour ils l’exprimaient en gestes pas en paroles. Le mot « parents » connotait le concept de l’obéissance avant de référer à l’amour ou à l’affection. C’est sur ce fond de tableau que s’est exercée pendant mon enfance l’autorité parentale.
Comme une eau porteuse
Malgré ce conditionnement, il serait faux de dire que la sévérité ou l’austérité était la marque dominante de l’autorité exercée par mes parents pendant mon enfance.
C’était une autorité omniprésente comme celle de Dieu.
L’idée qu’on se faisait de ce que nos parents pouvaient penser ou vouloir était la référence fondamentale de nos agirs, de nos pensées et de nos choix. Nous étions portés par cette autorité. Une eau porteuse sur laquelle nous naviguions à l’aise et avec une certaine liberté.
Cette autorité ne s’exerçait pas tellement par des interdits, des commandements ou des discours. Nous savions qu’ils exigeaient, sans l’avoir formulé, la ponctualité, la responsabilité dans l’accomplissement de nos tâches quotidiennes, la docilité et l’application à l’école et, partout, le respect de l’autorité. Ils ne sanctionnaient pas notre comportement à l’école ni à l’égard de nos compagnons ou compagnes. On devait pouvoir faire face aux conséquences de nos actes tant pour les punitions encourues que pour les suites de batailles ou autres difficultés avec nos compagnons ou avec nos frères et sœurs. « Réglez ça entre vous » disait papa. Maman approuvait en y ajoutant des nuances tacites qu’on saisissait bien.
Punitions et réprimandes
Le tiraîllage, les chicanes fraternelles ou plus simplement le fait d’être tannants ou bruyants étaient les principaux sujets de punitions ou de réprimandes. Il y avait d’abord les menaces qui avaient une efficacité réduite: « Si vous n’êtes pas tranquilles vous allez aller dans le coin » ou, mentionne Laurent, « j’vas vous « assire » (pour asseoir) sur la porte de la cave » . Ou le soir : « Qu’est-ce qui se passe en haut? Attendez pas que je monte pour vous tenir tranquilles ». Parfois maman disait « Attends que ton père revienne, tu vas voir ça ».
Quand les menaces étaient inefficaces, l’autorité montait d’un cran. « Ça va faire là, va t’ assire dans le coin » Ou, si le parent perturbé était à proximité, l’impatience déclenchait une de ces claques qui faisait rougir les fesses ou les oreilles et ça réglait le problème sans réplique. Un bail de quelques jours. J’ai reçu ainsi des coups de pied de papa qui ont produit plus d’ecchymoses à mon orgueil qu’à mon épiderme.
Puis, il y avait aussi les corrections prédéterminées, appliquées comme une sentence, suite à une faute identifiée et reconnue.
C’était généralement après les devoirs, avant la toilette et le coucher.
Papa se plaçait près de l’évier de la cuisine sortait sa courroie à aiguiser le rasoir et, dans une ambiance de guillotine, il invitait le ou les coupables à se présenter. Sérieux, il disait: « donne ta main ». On pleurait, presque de peur ou de honte, avant le premier coup. Jamais ne nous serait venue l’idée de retirer notre main avant que la strappe claque. On recevait ainsi deux ou trois coups selon la gravité de l’offense. Et si l’offense impliquait deux ou trois d’entre nous, on attendait en ligne comme des condamnés à la peine capitale.
J’essaie de cerner les traits de l’autorité parentale pendant mon enfance. L’image que je me fais de cette autorité est doublement conditionnée.
D’abord, le fait qui peut changer la couleur des souvenirs: je suis parti de la maison à l’âge de treize ans et demi et n’y suis retourné que cinq ans plus tard, pour dix jours, ensoutané, idolâtré. J’ai ainsi contourné le temps critique des affrontements avec l’autorité parentale. Je ne me suis pas fait les dents sur eux. C’est en dehors de leur autorité que j’ai accédé à mon autonomie personnelle. Je les ai plus idéalisés que confrontés. Voilà un filtre qui peut modifier le souvenir de mes relations avec mes parents.
Autre donnée à rappeler en préambule, la relation parents-enfants empruntait à cette période des patterns fort différents de ceux qu’on privilégie aujourd’hui. Autre temps autre mœurs !
Dans les années 40, le consensus social en regard de l’autorité penchait plus vers la valorisation de la sévérité et de la rigueur que de la compréhension et de l’écoute. Un père se devait de corriger son enfant, de le punir, d’exiger une obéissance totale sans, réplique. On était encore sous le régime du « Qui bene amat bene castigat ». (Qui aime bien châtie bien).
Et comme corollaire, il fallait à tout prix éviter de donner des caprices aux enfants, de les gâter. Un de mes oncles disait qu’il ne fallait pas bercer un enfant, même s’il pleurait, quand il était tout jeune. Je ne me souviens pas d’avoir jamais employé envers mes parents l’expression aujourd’hui passe-partout « Je t’aime ». Eux, leur amour ils l’exprimaient en gestes pas en paroles. Le mot « parents » connotait le concept de l’obéissance avant de référer à l’amour ou à l’affection. C’est sur ce fond de tableau que s’est exercée pendant mon enfance l’autorité parentale.
Comme une eau porteuse
Malgré ce conditionnement, il serait faux de dire que la sévérité ou l’austérité était la marque dominante de l’autorité exercée par mes parents pendant mon enfance.
C’était une autorité omniprésente comme celle de Dieu.
L’idée qu’on se faisait de ce que nos parents pouvaient penser ou vouloir était la référence fondamentale de nos agirs, de nos pensées et de nos choix. Nous étions portés par cette autorité. Une eau porteuse sur laquelle nous naviguions à l’aise et avec une certaine liberté.
Cette autorité ne s’exerçait pas tellement par des interdits, des commandements ou des discours. Nous savions qu’ils exigeaient, sans l’avoir formulé, la ponctualité, la responsabilité dans l’accomplissement de nos tâches quotidiennes, la docilité et l’application à l’école et, partout, le respect de l’autorité. Ils ne sanctionnaient pas notre comportement à l’école ni à l’égard de nos compagnons ou compagnes. On devait pouvoir faire face aux conséquences de nos actes tant pour les punitions encourues que pour les suites de batailles ou autres difficultés avec nos compagnons ou avec nos frères et sœurs. « Réglez ça entre vous » disait papa. Maman approuvait en y ajoutant des nuances tacites qu’on saisissait bien.
Punitions et réprimandes
Le tiraîllage, les chicanes fraternelles ou plus simplement le fait d’être tannants ou bruyants étaient les principaux sujets de punitions ou de réprimandes. Il y avait d’abord les menaces qui avaient une efficacité réduite: « Si vous n’êtes pas tranquilles vous allez aller dans le coin » ou, mentionne Laurent, « j’vas vous « assire » (pour asseoir) sur la porte de la cave » . Ou le soir : « Qu’est-ce qui se passe en haut? Attendez pas que je monte pour vous tenir tranquilles ». Parfois maman disait « Attends que ton père revienne, tu vas voir ça ».
Quand les menaces étaient inefficaces, l’autorité montait d’un cran. « Ça va faire là, va t’ assire dans le coin » Ou, si le parent perturbé était à proximité, l’impatience déclenchait une de ces claques qui faisait rougir les fesses ou les oreilles et ça réglait le problème sans réplique. Un bail de quelques jours. J’ai reçu ainsi des coups de pied de papa qui ont produit plus d’ecchymoses à mon orgueil qu’à mon épiderme.
Puis, il y avait aussi les corrections prédéterminées, appliquées comme une sentence, suite à une faute identifiée et reconnue.
C’était généralement après les devoirs, avant la toilette et le coucher.
Papa se plaçait près de l’évier de la cuisine sortait sa courroie à aiguiser le rasoir et, dans une ambiance de guillotine, il invitait le ou les coupables à se présenter. Sérieux, il disait: « donne ta main ». On pleurait, presque de peur ou de honte, avant le premier coup. Jamais ne nous serait venue l’idée de retirer notre main avant que la strappe claque. On recevait ainsi deux ou trois coups selon la gravité de l’offense. Et si l’offense impliquait deux ou trois d’entre nous, on attendait en ligne comme des condamnés à la peine capitale.
À l’analyse, je crois que c’est plus le fait d’être puni devant les autres qui déclenchait les larmes, assaisonnées d'un embryon de ferme propos.
Une stratégie efficace, sans parole
Tous les jours il y avait du bois à rentrer dans le cabanon. C’était un job de p’tits gars dont on s’acquittait à tour de rôle. Souvent, maman en train de préparer le souper, déclarait « Il n’y a plus de bois. Qui va aller m’en chercher? » Ça ne bougeait pas. Une autre annonce et là on se chicanait « Pourquoi c’est toujours à moé ? Vas-y toé ». « Je l’ai fait hier » … Maman alors, sans ajouter un mot, s’essuyait les mains sur son tablier et partait se chercher deux ou trois quartiers de bois. La honte suprême couvrait nos chicanes. On partait tous ensemble et parfois on revenait avant maman avec une brassée de bois, tout en maugréant intérieurement de céder encore. Le cabanon se remplissait en un rien de temps. Efficacité assurée pour deux ou trois jours.
Une stratégie efficace, sans parole
Tous les jours il y avait du bois à rentrer dans le cabanon. C’était un job de p’tits gars dont on s’acquittait à tour de rôle. Souvent, maman en train de préparer le souper, déclarait « Il n’y a plus de bois. Qui va aller m’en chercher? » Ça ne bougeait pas. Une autre annonce et là on se chicanait « Pourquoi c’est toujours à moé ? Vas-y toé ». « Je l’ai fait hier » … Maman alors, sans ajouter un mot, s’essuyait les mains sur son tablier et partait se chercher deux ou trois quartiers de bois. La honte suprême couvrait nos chicanes. On partait tous ensemble et parfois on revenait avant maman avec une brassée de bois, tout en maugréant intérieurement de céder encore. Le cabanon se remplissait en un rien de temps. Efficacité assurée pour deux ou trois jours.
La même situation revenait le lundi matin quand il fallait brasser le linge, avant de partir pour l’école et parfois le midi, si le lavage n’était pas fini.
Nos sorties du soir, surtout en hiver, étaient limitées. Cependant, la laisse était extensible et le vendredi soir, avec une formule bien polie, on pouvait tout obtenir ou presque.
Dans le jour, nos parents s’inquiétaient peu de nos allées et venues. Loin du regard de l’autorité, on s’accordait des libertés dont on gardait le secret car on savait très bien qu’elles étaient à l’encontre de des volontés de nos parents. Ainsi nous avons fumé en cachette et nos parties de pêche ou nos randonnées de ski sur les bords de la petite rivière St-François n’étaient souvent que des prétextes pour aller fumer .
"On va jouer dehors". Dehors, une dimension très élastique dans le rang St-Alexandre. Mes parents ne s’en formalisaient pas, pourvu qu’on entre à des heures raisonnables.
Le Waterloo de l’autorité parentale me semblait être les chicanes perpétuelles qu’on avait entre frères et sœurs. Les interventions répétées, les menaces, qui grimpaient souvent d’un ton, n’arrivaient pas à les enrayer. C’était à un point tel que je me faisais l’idée que c’était seulement dans notre famille qu’on se chicanait autant.
Notre avenir, nos sous et nos effets personnels étaient des zones qu’on avait tacitement convenu de laisser à notre responsabilitépendnat. Chaque enfant avait sa banque et quelques effets personnels spéciaux qu’il avait reçus en cadeau. Jamais, nos parents n’auraient fouillé dans nos économies pour compléter un achat du boucher ou du peddler.
Cependant, quand on a acheté le West (cheval brun à front blanc), chaque enfant était heureux d’offrir ses économies pour compléter cet achat qui coûtait 120$. Et quand on gagnait de l’argent, moi, en tirant les vaches ou en travaillant ailleurs, c’était la coutume établie d’en remettre au moins la moitié à la caisse commune et de garder le reste pour sa banque.
On n’avait pas besoin de contrôler l’usage qu’on faisait de cet argent puisque notre « banque » (pour tirelire, terme qu’on n’utilisait pas) était notre compte d’épargne. Elle servait à accumuler les plus hauts montants possible.
Quand j’ai marché au catéchisme, il y avait au magasin général du village des petites boîtes carrées de chocolat aux cerises appelé « Cherry blossom ». Cinq sous chacune. Mais en acheter à l’insu de mes parents, ça me tiraillait, et il n’était pas question de leur demander la permission de le faire. Pendant deux ou trois jours, j’oscillai entre le ciel et l’enfer. J’ai fini par succomber, pensant monter au ciel. Illusion, il m’a semblé que le chocolat avait des goûts de cendre. Celui de la culpabilité. Mes souvenirs aussi en ont été marqués. Tiens, un autre péché originel. Pas un péché de gourmandise. Mais celui de la honte et de la crainte pour avoir agi contre et à l'insu de mes parents.
Avec du recul, grâce au processus d’idéalisation engendré par la séparation, j’ai fini par me monter une image numérique fort sympathique de l’autorité parentale exercée pendant mon enfance. Les travers de mes parents et les fixations du temps, marqués par une rigidité plus ou moins morbide, m’apparaissent comme des antiquités qui font sourire et qu’on revoit avec plaisir. Les raconter donne des airs de bonze que je ne dédaigne pas.
La discrétion et le savoir-faire des parents dans l’exercice de leur autorité facilitaient l’obéissance des enfants et la combinaison des deux nous ont évité les déséquilibres ou les crises familiales qui ont entaché la qualité de vie de plusieurs familles de cette époque.
Nos sorties du soir, surtout en hiver, étaient limitées. Cependant, la laisse était extensible et le vendredi soir, avec une formule bien polie, on pouvait tout obtenir ou presque.
Dans le jour, nos parents s’inquiétaient peu de nos allées et venues. Loin du regard de l’autorité, on s’accordait des libertés dont on gardait le secret car on savait très bien qu’elles étaient à l’encontre de des volontés de nos parents. Ainsi nous avons fumé en cachette et nos parties de pêche ou nos randonnées de ski sur les bords de la petite rivière St-François n’étaient souvent que des prétextes pour aller fumer .
"On va jouer dehors". Dehors, une dimension très élastique dans le rang St-Alexandre. Mes parents ne s’en formalisaient pas, pourvu qu’on entre à des heures raisonnables.
Le Waterloo de l’autorité parentale me semblait être les chicanes perpétuelles qu’on avait entre frères et sœurs. Les interventions répétées, les menaces, qui grimpaient souvent d’un ton, n’arrivaient pas à les enrayer. C’était à un point tel que je me faisais l’idée que c’était seulement dans notre famille qu’on se chicanait autant.
Notre avenir, nos sous et nos effets personnels étaient des zones qu’on avait tacitement convenu de laisser à notre responsabilitépendnat. Chaque enfant avait sa banque et quelques effets personnels spéciaux qu’il avait reçus en cadeau. Jamais, nos parents n’auraient fouillé dans nos économies pour compléter un achat du boucher ou du peddler.
Cependant, quand on a acheté le West (cheval brun à front blanc), chaque enfant était heureux d’offrir ses économies pour compléter cet achat qui coûtait 120$. Et quand on gagnait de l’argent, moi, en tirant les vaches ou en travaillant ailleurs, c’était la coutume établie d’en remettre au moins la moitié à la caisse commune et de garder le reste pour sa banque.
On n’avait pas besoin de contrôler l’usage qu’on faisait de cet argent puisque notre « banque » (pour tirelire, terme qu’on n’utilisait pas) était notre compte d’épargne. Elle servait à accumuler les plus hauts montants possible.
Quand j’ai marché au catéchisme, il y avait au magasin général du village des petites boîtes carrées de chocolat aux cerises appelé « Cherry blossom ». Cinq sous chacune. Mais en acheter à l’insu de mes parents, ça me tiraillait, et il n’était pas question de leur demander la permission de le faire. Pendant deux ou trois jours, j’oscillai entre le ciel et l’enfer. J’ai fini par succomber, pensant monter au ciel. Illusion, il m’a semblé que le chocolat avait des goûts de cendre. Celui de la culpabilité. Mes souvenirs aussi en ont été marqués. Tiens, un autre péché originel. Pas un péché de gourmandise. Mais celui de la honte et de la crainte pour avoir agi contre et à l'insu de mes parents.
Avec du recul, grâce au processus d’idéalisation engendré par la séparation, j’ai fini par me monter une image numérique fort sympathique de l’autorité parentale exercée pendant mon enfance. Les travers de mes parents et les fixations du temps, marqués par une rigidité plus ou moins morbide, m’apparaissent comme des antiquités qui font sourire et qu’on revoit avec plaisir. Les raconter donne des airs de bonze que je ne dédaigne pas.
La discrétion et le savoir-faire des parents dans l’exercice de leur autorité facilitaient l’obéissance des enfants et la combinaison des deux nous ont évité les déséquilibres ou les crises familiales qui ont entaché la qualité de vie de plusieurs familles de cette époque.
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Suite :18 - Août le mois des bleuets
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