29 août 2009

26- Fiat lux

Contrairement à ce que je pensais, l’électrification à St-Zéphirin de Courval a eu lieu en 1937 et non pendant la guerre 1939-1945. On peut cependant considérer cette importante innovation comme un prélude à tout le renouvellement économique et social que connaîtra le Québec par la suite, jusqu’à la Révolution tranquille. Les régions ont toujours accusé un certain retard quant au développement par rapport aux villes, et les campagnes par rapport aux villages. Mais à St-Zéphirin, ce fut différent. Le rang St-Alexandre a été branché avant le village. Et voici comment l’électrification rurale s’est faite chez nous.


______________________________________________________


Flo : Paul-Émile, te rappelles-tu du temps du fanal et de la lampe à pétrole?

P.-E. : Bateau ! Si je m’en rappelle ! Quand on allait faire le train à l’automne, il fallait
un fanal pour tirer la vache que l’on gardait et un autre fanal pour éclairer la tasserie quand on démêlait le foin ou la paille pour les vaches. Cet autre fanal servait aussi pour aller soigner les poules.
Après, quand on a eu l’électricité, ce n’était plus pareil. Les poules, elles se levaient toutes seules.

Flo : Comment ça?

P.-E. : Écoute-moé ben ! Pôpa avait mis le courant sur les aiguilles d’un vieux cadran. À cinq heures du matin, ça mettait le contact; les lumières s’allumaient et les poules pondaient !

Flo : Et dans la
maison, comment c’était avant l’électricité?

P.-E. :
Il y avait une lampe qu’on plaçait au milieu de la table. Je m’en souviens, le pied de la lampe était fleuri et on voyait la mèche dans la lampe. Comme ça, on savait s’il y avait encore de l’huile.

Flo : Pour faire les devoirs, on se plaçait autour de la table. La lampe restait dans la cuisine. Elle projetait des ombres de funambules sur le planc
her et les murs de la cuisine et sur les portes du salon. On allait se coucher à la noirceur. Quand tout le monde était couché, la lampe éteinte, le poêle lançait des éclairs sur les murs.

Flo : Carmen dit qu’elle se souvient d’avoir fait ses devoirs à la lampe à pétrole. Est-ce que ça se peut?

P.-E. : Toute se peut, car parfois on manquait d’électricité. Je ne crois pas cependant que Carmen ait fait des devoirs à un an !!! L’électricité est arrivée en 1937, la même année que Carmen.

Flo : Tu dois t’en souvenir ?

P.-E. :
Bateau ! Si je m’en souviens ! Écoute-moé ben quoi j’ vas te dire.
Tu sais où on couchait, du côté du verger, juste à gauche de l’escalier. Le gars qui venait pour l’installation de l’électricité me dit : «Va mettre du bois dans le poêle et tu vas avoir de l’électricité pour rien ce soir.» Je n’ai pas compris ce qu’il voulait dire, j’ai mis du bois dans le poêle et le soir on s’éclairait à l’électricité.

Flo : «Sais-tu combien ça avait coûté»?

P.-E. :
Non !

Flo : Moi, je pense que je le sais. On parlait de 70$ pour faire l’installation dans toute la maison, avec une lampe dehors et une lampe à l’étable et une entrée électrique de 30 ampères. C’était beaucoup d’argent dans le temps. Partout dans le rang, on annonçait qu’on allait "se faire installer". Chez Jean-Baptiste, chez Omer Courchesne, Omer Dionne, Ernest Allard etc.. Je pensais que nous on ne serait pas installés car papa ne pourrait pas payer ça. Et y paraît qu’on avait des dettes…

En revenant de l’école, on s’est aperçu que l’électricien travaillait à l’installation chez nous. Si tout allait bien, nous serions branchés le soir même.

À huit heures du soir, il faisait déjà sombre. Nous étions probablement en octobre. Ce soir-là, nous avons attendu un peu plus tard afin de pouvoir faire nos devoirs à la lumière électrique. On aurait pu faire nos devoirs toute la nuit. Il faisait clair partout, pas juste autour de la table.

P.-E. :
On entrait et on sortait voir la lumière dehors au coin de la galerie. Il y avait même une lumière à l’étable. Ce soir-là, les lumières sont restées allumées, dehors comme en dedans, toute la soirée et probablement toute la nuit. Les premiers jours, il n’y avait pas de compteur et ça ne coûtait rien.

Flo : On s’éclairait tant qu’on pouvait. C’était comme si on faisait des provisions
de lumière pour l’hiver.

Plus de lampe à allumer. Et pas besoin de traîner le fanal à l’étable. Finies les recommandations toujours répétées de faire attention de ne pas mettre le feu au foin avec le fanal. Quelle économie d’allumettes! C’était l’euphorie.

P.-E. :
Chacun son tour, on s’amusait à allumer et à éteindre les lampes. Pôpa et môman étaient contents, ils nous laissaient faire. On s’est couché plus tard ce soir-là. Il y avait même une lumière dans notre chambre.

Flo : Puis, tout est entré dans l’ordre. On est venu installer le compteur. Et chaque mois, le gars de la Shawinigan passait, allait lire le compteur et disait : ¨ «Bonjour! Une piastre.» C’était le minimum à payer. Nous l’avons rarement dépassé.

Quelques temps après, papa avait apprivoisé ce nouveau génie. Il jouait avec les fils électriques, installait des lampes partout, utilisait des épingles à linge comme commutateur pour faire le contact. Il faisait sauter maman de peur et les fusibles par les courts-circuits qu’il provoquait. Il faut dire qu’il s’était entraîné à manipuler cette mystérieuse énergie. Avant l’arrivée de l’électricité de la Shawinigan Power, il y avait eu la «Lucien Power.» Tu t'en rappelles?

P.-E. : L’électricité avec l’hélice sur le hangar! Des patentes à pôpa. Te souviens-tu
comment ça marchait ?

Flo: Je me souviens seulement de l’hélice, fabriquée de ses mains dans une planche de pin, qu’il avait installée sur le hangar avec un générateur d’auto pour charger la «batterie» (accumulateur) qui alimentait, dans toute la maison, un circuit électrique fait de deux fils de cuivre découverts et des relais correspondants. Probablement l'une des premières éoliennes installées au Québec.

Le commutateur c’était un clou replié qui, joignant les deux fils, allumait une ampoule de phare d’auto de 12 volts. Je ne me souviens pas d’avoir fait mes devoirs sous cet éclairage, ni du temps que le système a été en fonction. On voit encore au Village d’Antan, dans notre maison baptisée «Apothicaire Jutras», les marques des clous qui fixaient les fils, celles du commutateur-clou fixé sur le cadrage de la porte, à gauche en entrant. Génial n’est-ce pas?

Il y avait
eu aussi le radio à cristal. Les voisins venaient, le lundi soir, je crois, écouter avec leur cornet de téléphone, l’émission "Le curé du village". Le radio à cristal, une simple bobine de fil électrique enroulé dans une boîte et branché sur un cristal muni d’un levier pour faire la sélection des deux ou trois postes disponibles que ce radio pouvait capter. Le cristal venait de chez Eaton.

L’électricité, quelle merveille !

Qui aujourd’hui au Québec a vu arriver l’électricité? C’est un jour presqu’aussi grand que celui où Dieu dit : « Que la lumière soit ! (Fiat lux!) Je me réjouis d’avoir connu ce moment. Voir la lumière, c’est grand. C’est même le sommet de l’espérance promise par toutes les religions. C’est l’ultime terme du sens à la vie.

Voir arriver la lumière c’est plus grand encore. Une lumière qui est là fait partie du décor, on ne la voit plus, elle est là, comme coincée dans une prosaïque fonction. Une lumière qui arrive, crée. Elle invente les mondes, elle joue avec les ombrages, comme avec les espérances; elle invite aux cheminements du matin et au repos du soir.

Il faut avoir vu, du Mont Sinaï ou de la Montagne Jaune, le soleil se lever pour assister à une reprise de la création, à la formation des montagnes, au tracé de
l’horizon qui sépare la terre du ciel, à la généreuse poussée de la vie aux multiples teintes de verts, à la mobilité des êtres qui sillonnent en tous sens cette terre nouvelle sous des cieux renouvelés.


Il me semble que sous la lampe plantée au coin de la maison d’Hormisdas, qui s’allumait et s’éteignait sous les manœuvres enjouées des enfants, j’aurais récité, avec l’âme et l’emphase voulue, le psaume 104 qui moult fois a recréé pour nous la création du monde sous la lumière. Et au soir de ma vie j’espère pouvoir redire avec saint Jean quelques versets de son merveilleux poème à la lumière.


De tout être il était la vie
Et la vie était la lumière des hommes
Et la lumière luit dans les ténèbres
Et les ténèbres n’ont pu l’atteindre…
Le Verbe était la lumière véritable
Qui éclaire tout homme;
Il venait dans le monde
Il est venu chez lui…
À ceux qui l’ont reçu
Il a donné de pouvoir devenir
des enfants de Lumière. (Jn 1,4..12)



Flo : Et que dis-tu Paul de tout cela ?

P.-E. : Bateau que c’est beau ! Ah ! C’était le bon temps !


____________________________________


1 commentaire:

  1. Après une telle journée, une telle lecture, une telle décharge d'amour, je lis... ZÉRO commentaire. ZÉROOO.

    L'hiver n'est pas loin mais, tout de même, je brise...

    J'y vais. Je me lance. Je brise la glace...

    Quand tu n'as que 4 vins, tu dis aux invités accompagnant ta vie, que le party se passera dans un 5 à 7.

    C'est déjà exceptionnel d'inviter, qui vit à FLO. Flo, ta compagnie d'assurace-vie t'aime aussi. Un peu moins, le REGOP!

    On ne peut plaire à tous...

    Toutes ces pages, tous ces calculs, tout travail d'apothicaire, lance-ça à la mer. Le jour inéluctable du temps te proposera une urne. ¤%*$#?... Regarde bien. Tu auras, à ta gauche, un ange qui, plutôt, te proposera une bouteille à la mer. L'espoir de tout. La survie... Une bouteille de "Dites, si c'était vrai." Débouche, offre un tost, casse du verre blanc!

    Une occasion de nous revoir? De proche?

    Ayons le pied marin. Continuons à partager des rivages, des ports en partance.

    L'hier, l'aujourd'hui, le demain, les différences ne sont-elles pas négligeables?

    RépondreSupprimer

Visiteurs

Aujourd'hui