22 août 2009

25 - Les fois que Dieu s’est fait tout proche

Le divin a peu souvent effleuré ma conscience d'enfant.

Les prières quotidiennes, pourtant assez fréquentes, m’apparaissent comme des pratiques du code morse sans qu’aucun des appareils ne soit branché, un entraînement à la calligraphie sans encre…
La réception des sacrements était comme l’initiation à un protocole parsemé de troublants imprévus: l’hostie qui colle au palais à la première communion, la communion solennelle sacrilège à cause de quelques gorgées d’eau sucrée, le soufflet de la confirmation qui vole au sacré toute sa place, la recherche des péchés sans culpabilité avant d’entrer à chaque mois dans le mystérieux confessionnal …
Dieu n’a pasnon plus vraiment fait sentir sa présence, ni à Noël ni à la Fête-Dieu. Le décor retenait l’attention et prenait toute la place.

Cependant, je peux identifier trois principaux lieux où le contact avec le divin a été significatif et a rempli ma boîte à souvenirs : le Chemin de la croix, les Quarante-Heures et les pèlerinages.

Le Chemin de la croix – le doigt dans la marque des clous et la main dans le côté transpercé de Jésus

C’est Vendredi-Saint. Les routes défoncent. On ne peut se rendre à l’église pour le Chemin de la croix de trois heures. Je suis un peu déçu. C’est comme manquer la remise de médailles ou l’apothéose du long exercice du carême. Je suis peut-être un peu maso mais, vibrer aux souffrances de Jésus qui meurt en croix pour nous, c’est une pratique ou un massage religieux qui me rejoint plus que les autres.

Il faut dire aussi que, suite à la longue préparation du carême, le Vendredi-Saint c’était un momentum. Momentum de la densité du mystère, momentum de la rencontre de Dieu et de l’homme et momentum de l’apitoiement aux souffrances humaines.

À cette époque, chez nous, les quatorze stations du chemin de la croix, en petit format, étaient accrochées dans le corridor des chambres au-dessus de l’escalier.

Comme on ne pouvait aller à l’église, maman nous invite à faire notre chemin de croix en haut avec elle. Tous les enfants y sont, de la plus petite au plus grand, six ou sept en tout. Il faut nous y voir, tout recueillis et en silence. Je me demande même si on ne se joignait pas les mains comme les enfants de chœur à l’église.
On s’agenouille devant chaque station. La prière débute par une invocation :
V) "Nous vous adorons, ô Jésus, et nous vous bénissons. (R) Parce que vous avez racheté le monde par votre sainte Croix!"

Maman lit, probablement dans son livre de prière, une narration de l’événement représenté par l’image. Puis, on termine par les trois prières traditionnelles (Pater, Ave, Gloria) suivies des invocations suivantes :

(V) "Ayez pitié de nous, Seigneur.
(R) Ayez pitié de nous.
(V) Que par la miséricorde de Dieu les âmes des fidèles trépassés reposent en paix.
(R) Ainsi soit-il."

Les stations qui rappellent les plus grandes souffrances de Jésus (II,X,XI,XII) me touchent particulièrement. Avec Jésus flagellé et couronné d’épines, je porte une lourde croix qui me déchire l’épaule à chaque dénivellation du parcours. Les chutes de Jésus ne sont pas des faiblesses humaines mais des surcroîts de souffrances assaisonnés d’injures.

Plus tard, ces chutes me serviront de fouet de tortionnaire avec lequel je cravacherai les éclopés de la vie. «Jésus s’est relevé trois fois, ‘envoye’, lève!».
Je dédaigne l’aide de Simon de Cyrène (station V) et le soulagement offert par Véronique (station VI ) comme si tout soulagement à la souffrance était un recul dans la conquête de la sainteté,

À la douzième station, celle de la mort de Jésus, on ajoutait cette invocation sanguinolente utilisée aussi dans les salons mortuaires devant la dépouille du défunt : «Sang précieux de Jésus, coulez sur mon (son) âme.»

À la dernière station de ce Chemin de la croix, Jésus ne ressuscite pas mais il est mis au tombeau. Comme si alors la rédemption s’accomplissait dans la mort seulement et non dans le binôme mort-résurrection. La résurrection de Jésus, son retour à la vie, nous étaient surtout présentés comme un signe de puissance qui prouvait, hors de tout doute, que notre Dieu était plus fort que tous les autres.

Je me servirai longtemps de cet argument pour démontrer la supériorité de la foi chrétienne sur toute autre religion.

Et à la fin nous avons récité avec maman «
La prière à Jésus crucifié »

À mon souvenir, ce Chemin de la croix fut mon premier vrai contact avec le divin personnifié en Jésus souffrant sa passion. Comme Thomas, il me fallait pour croire mettre le doigt dans ses plaies et la main dans son côté. (Jn-20,24-28) C’est ce que j’ai fait ce Vendredi-Saint-là.

C’était la première fois que je me sentais aussi proche de Dieu et en si étroite communion avec Lui.

Après ce Chemin de la croix en famille, nous sommes retournés à nos jeux. Un soleil répandait sa lumière sur la neige qui fondait, le printemps vibrait sous nos pas, tout était chargé de divin. Il fallut un certain temps de décompression avant que nous reprenions notre allure habituelle, nos courses, nos tiraillages et nos chicanes. Dieu nous avait été tout proche. Un certain halo devait rayonner autour de nous, tout comme autour de Moïse lorsqu’il descendit de la montage. Mais, chassez le naturel, il revient au galop. Très rapidement nous nous prosternerons devant nos veaux d’or.

Les Quarante-Heures : la contagion du sacré

Les paroisses d’un diocèse consacraient, chaque année, à tour de rôle, quarante heures à adorer le Saint Sacrement exposé sur l’autel dans l’ostensoir. À cette occasion, les prêtres des paroisses avoisinantes venaient assister le curé et son vicaire de St-Zéphirin pour entendre les confessions, dispenser la prédication et participer aux imposantes cérémonies d’adoration du Saint Sacrement.

Entre les cérémonies, les familles de tel ou de tel rang étaient invitées à passer une heure ou deux devant le Saint Sacrement exposé. J’y suis allé une fois avec maman.

À genoux pendant toute l’heure, maman était comme dans un état second. Une forte mais sereine concentration rayonnait de tout son être. Elle était en étroite communication avec Dieu.

De quoi causaient-ils? J’imagine qu’ils parlaient de nous. Avec une très grande confiance, maman nous recommandait à Dieu. Elle devait aussi prier pour chacun de nous, pour qu’il ne nous arrive aucun malheur et que nous réussissions à bien grandir et à passer une bonne vie.

Probablement qu’elle devait aussi parler à la Vierge Marie comme elle le faisait presque machinalement chaque fois que nous partions en voyage. Trois «Je vous salue Marie » avant de démarrer c’était sa police d’assurance-voyage.

Les images de saintes et de saints en prière, qu’on nous donnait souvent, n’étaient pas plus belles que celle que j’ai gardée de ma mère en prière.

Comme une contagion, ce contact m’atteignait profondément. Une espèce d’influenza qui, sans perler en sueurs froides, me remuait l’âme jusque dans ses derniers retranchements.

Les pèlerinages – Quand l’humain et le divin partagent le même bivouac

Un pareil rayonnement de mysticisme marquait aussi les pèlerinages annuels que nous faisions à
Notre-Dame-du-Cap. Sans qualifier maman de dévote au sens belge du terme, elle démontrait à ces occasions une piété que l’on respectait comme Dieu lui-même. Papa était l’avers de cette médaille.

Après le Chemin de la croix à l’extérieur, prié, chanté et commenté, et entre les différentes cérémonies sacrées de cette journée de pèlerinage, papa prenait plaisir à nous accompagner autour de l’île qui formait une espèce de station d’observation des bateaux de tous calibres qui passaient devant nous sur le fleuve St-Laurent.

Il nous indiquait aussi l’endroit où avait eu lieu le fameux miracle du pont des glaces. Nos imaginations créent vite un moulin à image qui produit en alternance une succession de grosses pierres flottant sur un fragile pont de glace, de sleighs dont les patins s’enfoncent dans l’eau noire, de forts chevaux aux jarrets tendus sous les hue et les dia des vigoureux habitants givrés de frimas qui les mènent sous la protection de la Reine du ciel flottant au milieu des étoiles dans son épais et gracieux manteau de velours.

Monde de contrastes qui marie les pierres dures aux légers flocons de givre, où le sacré danse avec le profane, l’élégance du ciel joue ses ombres avec la rusticité de la terre, les craintes des hommes se conjuguent aux plans divins.

Voilà l’humain et le divin, le ciel et la terre réunis en un même événement.

Pour nous, ces pèlerinages étaient une fête. Une fête complète. Un dimanche sur semaine, du divin toujours fascinant greffé sur de l’humain qui nous enchantait. Le fait de sortir de l’ordinaire, de prendre le traversier, de parcourir le parc attenant à la basilique, de voir les bateaux passer et de manger dehors, en famille, un pain qui devient un succulent sandwich, dans le grand parc tout fleuri, donnait à cette activité une cote élevée de satisfaction.

Le divin n’était pas dévalorisé pour autant. Les imposantes cérémonies dans un décor de ciel et d’or, le célébrant tout emmitouflé comme une momie dans son ample chasuble rutilante de perles et de fils d’or et qui portait au bout des bras un Saint-Sacrement devant lequel tout le monde s’inclinait, la cohorte des soutanes rouges coiffées de blancs surplis aux mille plis, les volutes d’encens qui couvraient cette importante assemblée, l’orgue qui imposait à tout une solennité d’un autre monde, les cantiques chantés par des chœurs angéliques, la prédication qui évoquait les miracles comme des contes de fée, la dense concentration des pèlerins, même celle des enfants, … tout concourait à nous transporter dans un autre monde, à nous investir de ses livrées et à donner du galon à notre titre d’enfant de Dieu. Je sortais de ces cérémonies avec des ailes qui carburaient à l’essence divine.

Ces pèlerinages comptaient parmi les activités religieuses inscrites au programme d’une année. Ils étaient organisés par la paroisse selon une programmation déterminée par le Sanctuaire du Cap-de-la-Madeleine. Cependant, on était peu en contact avec les autres paroissiens inscrits au même pèlerinage. Le pèlerinage annuel au Cap gardait surtout une dimension familiale.

Par rapport aux autres activités religieuses prescrites, comme la messe du dimanche, le chapelet, le pèlerinage annuel comportait plusieurs bénéfices marginaux qui nous rendaient Dieu sympathique et qui nous donnaient le goût d’y revenir.

Bilan de la religion de mon enfance

La routine tue le sacré. Les nombreuses pratiques religieuses échelonnées dans une journée, une semaine ou une année, ne m’ont jamais mis en communication sentie avec le divin. On les accomplissait correctement et sans poser de questions, comme pour les devoirs d’école à domicile. Je ne me souviens pas d’avoir vraiment prié ni d’avoir rencontré Dieu lors de l’exécution de ces figures imposées à tout bon chrétien.

On parlait peu de Dieu bien que des vignettes l’annonçaient partout sur notre parcours. Lui, on ne le voyait guère. Comme si nous nous promenions dans un jardin non encore poussé, planté d’écriteaux qui annonçaient les fruits à venir.

Je savais bien mon catéchisme, je savais tout ce que les sacrements devaient procurer, comme quelqu’un qui, ayant étudié la biologie connaît bien les diverses fonctions des organes de son corps mais qui est incapable de soulager les malaises qu’il ressent.

Dieu et le ciel demeuraient des mystères frappés d’interdits, les codes de la moralité chrétienne étaient aussi connus et très détaillés mais la Bonne Nouvelle du salut, la base et le point de départ de la foi et de la religion chrétiennes, je ne la connaissais pas. Je n’y avais jamais vibré. Dans le Royaume de Dieu j’étais, comme dans tout royaume terrestre, un sujet perdu dans la foule qui devait respect et obéissance à son seigneur et reconnaissance pour les bienfaits qu’il était sensé lui accorder.

J’étais cependant à l'aise dans cette religion bien balisée. Une voie large où l’on chemine avec une certaine indolence. Les troubles et les malaises viendront plus tard. Selon les normes du temps, j’étais un bon chrétien. Plus tard, je constaterai que je l’étais bien peu.

Le Chemin de la croix c’était une randonnée en compagnie de Dieu, les Quarante- Heures un supermarché de divin et les pèlerinages, une foire où hommes et Dieu fêtaient dans un même lieu. La religion de mon enfance, quelques oasis de divin dans un désert jonché de squelettes sans vie.
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Suite : 26 - Fiat lux

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