25 juil. 2009

21 - Noël et Jour de l’An – La culture du désir

Flo : « Comment fêtait-on Noël et le Jour de l’An dans le rang St-Alexandre? »

P.-E. : « Ça commençait avant Noël. Un
pedleur venait avec sa petite valise. Il l’ouvrait comme on ouvre un trésor. On était tous autour de la table, les yeux ronds. Qu’est-ce qu’il y avait là-dedans?

Bateau que c’était beau! Plein de petits carreaux dans le fond de la valise. Il y avait une vitre par-dessus. Dans ces petits carreaux, des variétés de biscuits et de bonbons de toutes les formes et de toutes les couleurs. Un biscuit surmonté d’une guimauve rose arrondie, un autre tout habillé de chocolat comme un moine franciscain, des biscuits blancs reco
uverts de noix de coco (coconut), des feuilles d’érable en deux épaisseurs, des biscuits sandwich avec une gelée rouge entre les deux faces, etc. Et les bonbons, des rouges, des verts, des jaunes, des durs et des gélatineux, des petits poissons rouges qui piquaient la langue, des blancs plus doux, des noix moins amères que nos glands de chêne, des peanuts» (cacahuètes) avec ou sans écale et quoi encore?

Maman devait décider ce qu’elle achèterait pour le temps des fêtes. « De ceux-là, combien on en a pour une piastre» demandait-elle?

Le ‘pedleur’ prenait des notes. Finalement, on ne savait pas ce que maman avait commandé mais nous, on avait fait le plein de saveurs de désirs. Deux semaines plus tard, le pedleur revenait avec des boîtes fermées. On ignorait ce qu’elles contenaient mais on avait hâte. Les biscuits et les bonbons, c’était pour le Jour de l’An.»

Flo : « Et Noël? »

P.-E : «Noël, on fêtait pas ça. On allait à la messe de minuit. Après on allait se coucher. Pas de réveillon, pas d’arb
re de Noël ni de Père Noël. On allait à la messe de minuit en carriole. Il y avait des petits sacs de grain qu’on faisait chauffer sous le poêle ou dans le fourneau pour nous garder les pieds chauds. On portait des… comment on appelle ça…des mackinaws. Les deux bancs de la carriole avaient leur peau de fourrure qu’on se mettait sur les genoux.

Au village, le cheval occupait un port réservé dans l’étable de Zéphirin Jutras, frère de « peupére » et, après sa mort, dans celle de Bernard Courchesne. À l’église, il y avait la messe. En fait, il y avait trois messes de suite. Nous, et la plupart des habitants, n’assistions qu’à deux messes : la première, une grand-messe comme celle de tous les dimanches et la deuxième, une basse-messe qu’on utilisait comme temps d’action de grâces après la communion. Te souviens-tu de la fois des bergers? Raconte!

Oui, je me souviens d’une émotion toute spéciale lorsque des bergers vêtus d’une ample mante blanche, martelant le pa
rquet de la grande allée de leurs bâtons, dans la demi-obscurité, portaient solennellement l’Enfant-Jésus et l’avaient déposé dans la crèche. C’était spécial, je revois encore les lanternes qui les éclairaient. À mon souvenir, la cérémonie, probablement jugée comme irrespectueuse du sacré de Noël, ne s’est pas répétée l’année suivante.

Quand nous sommes revenus de la messe de minuit cette année-là, les autres avaient des grelots à leur attelage et nous nous n’en n’avions pas.

Arrivés à la maison, nous sommes montés nous coucher comme si de rien n’était. J’ai senti un petit creux au fond de la poitrine. J’aurais probablement aimé prolonger la magie de l’inhabituel mais, c’était ainsi, et on n’avait alors peu conscience de ce qui se faisait dans le reste du monde.

Le Jour de l’An
Au pays des Jutras, du moins tant que grand-père était à la mais
on, le Jour de l’An, c’était La fête.

Je me rappelle les chaises du fournil, au fond tressé en babiche, alignées devant le « side board », de l’épaisseur des manteaux empilés sur le lit de la chambre attenante à la cuisine. Et aussi les chevaux fumants, les hommes qui entraient de l’étable en secouant fort leurs pieds dans le fournil. Et ça fumait, la pipe et la cigarette, et ça parlait fort et ça (les enfants) courait partout.

La fête du Jour de l’An commençait tôt le matin du premier janvier. Les enfants qui n’allaient pas au train regardaient, les yeux ronds, l’alignement des bas de laine(*) suspendus à une corde de lieuse le long du bras de l’escalier. Des courses inhabituelles avaient aussi pour point d’arrivée ce coin de la maison. On allait même, avec un sentiment de profanation, jusqu’à toucher ces chaussons qui semblaient venir du ciel.

Le train fini, après une toilette sommaire dans le bol à main situé dans le « sink » (évier) sous la pompe, tous, sauf maman, se rangeaient dans l’embrasure de la porte à droite du poêle, près de l’escalier. Grand-père s’approchait, papa se mettait à genoux
et nous l’imitions. Maman se tenait à l’écart au fond de la cuisine en s’essuyant les mains dans son tablier.

Alors, avec une voix de confessionnal, papa disait : « Voulez-vous nous bénir ? » Grand-père, levant un peu la main droite, d’un mouvement hésitant et non à son aise, traçait dans les airs un signe que chacun devinait être le signe de la croix. En même temps, d’une voix éteinte, il prononçait la formule consacrée : « Que le bon Dieu vous bénisse! »

On se relevait comme des automates, encore figés par le silence de ce moment sacré, ne sachant trop comment briser cette glace qui séparait ces deux mondes bien distincts. Puis, comme en une espèce d’explosion, les « Bonne Année » fusaient de partout. «Bonne Année et la santé jusqu’à la fin de vos jours » c’était la formule traditionnelle. Mais entre nous, les frères et sœurs on s’amusait avec «Bonne Année, grand nez! – Pareillement grandes dents, Que le bon Dieu vous bénisse, grandes cuisses!» Et on pouffait de rire, un rire retenu par les deux mains croisées sur la bouche, rire de gêne pour avoir commis cette audacieuse indécence.

Et là, c’était le moment des bas. Même si on savait ce qu’ils pouvaient contenir, la magie et l’émerveillement jouaient ensemble comme à cache-cache

Dans le bas, il y avait sûrement une ou deux pommes. C’était régulier, puisque au début de décembre, papa achetait un « cor » (pour quart = baril ) de pommes qu’il installait dans la cave et auquel on avait accès par la trappe située près du poêle sous la chaise de grand-père.

On espérait aussi trouver une orange au fond du bas comme aujourd’hui on peut espérer le gros lot.

L’orange, ça prenait bien du temps à l’éplucher. On la séparait petit morceau par petit morceau que l’on avalait lentement. Que c’était bon! Je me demande ce que nos jeunes diraient si on leur donnait une orange en cadeau à Noël. Je gage qu’ils n’auront jamais autant de plaisir avec leurs gros cadeaux que nous en avons eu avec notre orange du Jour de l’An.

Presque aussi prisées que l’orange, deux ou trois papillotes de bâtons forts que l’on suçait goulûment jusqu’à ce que, n’en pouvant plus, nous les croquions avidement.

Le dépouillement des bas commençait par le plus jeune, souvent victime d’un sale tour.

Je me souviendrai toujours de la face de Clément, coincée entre le dépit et l’émerveillement, lors de son premier dépouillement.

Il a trois ou quatre ans. Debout sur la troisième marche de l’escalier, appuyé sur la rampe, il tient son bas d’une main et le fouille de I’autre. ll en sort d’abord une orange enveloppée dans son papier de soie. Il la tâte fébrilement des yeux et des doigts et, vivement, la «
garroche » (lance) le plus loin qu’il peut. L’emballage de papier de soie ne contenait que de vulgaires pelures de patates défraîchies.

Au deuxième essai, même constat, même résultat, les pelures, d’orange cette fois, vont vite se loger au fond de la cuisine avec les autres.

La troisième surprise, à peine sortie du bas, allait subir le même sort. Le dépit et la colère avaient déjà levé le bras et durci le regard, L’élan fatal était même amorcé.
Comme par l’ange qui arrêta le bras meurtrier d’Abraham, le geste est soudainement et miraculeusement figé. Les yeux s’arrondissent et s’éclairent comme sous l’effet d’une mystérieuse radiation. Le regard a confirmé la lecture de la main. Cette fois-ci, ce ne sont ni des pelures ni rien de semblable. C’est bel et bien une orange. Une vraie, ferme et veloutée sous son enveloppe de soie, brillante comme un soleil d’or qu’un ange (or-ange) aurait décroché du ciel de toutes les espérances. Le sourire radieux est revenu, l’orange est rapidement dépouillée de son enveloppe et montrée comme un trophée chaudement disputé. Sûrement la meilleure et la plus juteuse des oranges que Clément ait mangées de toute sa vie.

De mémoire d’homme, on n’a jamais vu un changement d’expression et de couleur aussi rapide au visage et aux yeux d’un enfant. Ce geste, en ce matin du Jour de l’An au pays des Jutras, est devenu un cliché de famille qui a fixé à jamais dans nos mémoires, nos joies et nos émerveillements d’enfants, gâtés par une orange.

Puis, on allait à la messe de 10 heures comme si c’était un dimanche.

La visite commençait à arriver vers quatre heures.

Quand le temps était beau et que ça ‘adonnait’, les tantes Evelina et Juliette venaient même en « gros chars » de Montréal. Grand-père allait les chercher à la gare de La Baie (du Febvre).

Tous les autres y étaient avec une trâlée d’enfants : Notre voisin, Alcide et Élisabeth et une dizaine d’enfants de Gérard à Camille ou Jeanne-d’Arc.

Alfred et Ludgarde avec Fernand, Yvette et peut-être Madeleine, qui arrivaient tout auréolés du magasin général qu’ils tenaient à la Visitation.

Tante Marie et Jos Bourassa, dont le verbe rehaussé de tonalités politiques dominerait les conversations des mâles réunis près de grand-père, assis à proximité du poêle.

Tante Anysie, annoncée par son rire en cascades, venait du village avec oncle Albert et probablement alors, leur plus vieux, Jean-Baptiste.

Lucienne et Roméo, des mariés de l’année précédente, venaient du fond du rang St-Louis où les routes étaient toujours mauvaises, encombrées de bancs de neige.

Mon oncle Émile et tante Alice qui habitaient le Grand Rang. Je me souviens d’avoir surpris tante Alice qui, à l’écart, donnait le sein à sa première fille, Jacqueline. Je suis redescendu muet, classant ce souvenir dans la case des profanations à ne jamais révéler.

Dès l’arrivée, avant même d’enlever leur manteau ou leurs bottes, le frère ou la sœur de papa regroupait sa marmaille devant grand-père et demandait à voix basse la bénédiction paternelle qui était dispensée dans le silence d’une action sacrée. Le conjoint restait à l’écart car il devait avoir reçu dans sa famille sa propre bénédiction.

Bon an mal an, la maisonnée du Jour de l’An pouvait compter une vingtaine d’adultes et autant d’enfants.

Le menu du Jour de l’An était copieux. Il avait été minutieusement préparé depuis le début de décembre. Dans le fournil, les tartes et les tourtières s’empilaient. Chaque matin, maman recueillait minutieusement à la cuiller, la crème formée au-dessus des plats de lait. Elle en ferait un dessert rehaussé de sirop d’érable, un prototype des crèmes glacées qui n’arriveraient que plus tard dans mon existence. (cf. Travailler en vacances Première crème glacée …)

Nous, les enfants, on mangeait après les adultes puis, pour laisser la place aux « matantes » qui brassaient la vaisselle avec beaucoup de tapage et aux hommes qui fumaient avec non moins de verve, on montait aux chambres. Là, on se livrait à toutes sortes de jeux de tiraîllage et de cachette. Quand ça courait trop bruyamment ou que ça piaillait, quelqu’un s’approchait de l’escalier et criait « assez les enfants, calmez-vous un peu ».

Ces paroles soulageaient l’autorité des adultes d’en bas mais avaient peu d’effet en haut. Parfois, un plus jeune, malmené par nos jeux ou déçu de n’être pas de taille ou abandonné, descendait en pleurant. Alors le parent concerné montait en haut et ramenait les membres de sa tribu en bas. Ça durait peu de temps. Subrepticement, la meute du haut se reformait et menait son bal avec la tolérance du Jour de l’An qui levait toutes les barrières ou presque.

On ne dansait pas et on ne chantait pas au Jour de l’An dans la famille Jutras. On commérait, on fumait. Parfois, mais plutôt rarement à cause de la croix de la tempérance, on s’accordait un petit coup de vin de betterave ou de cerise qui avait fermenté depuis l’été.

Les femmes se montraient les patrons ou les tricots qu’elles avaient faits. Les hommes en venaient inévitablement à parler de politique, chacun répétant, avant les 78 tours, sa rengaine aux couleurs et à la défense de son idole.

Selon le temps qu’il faisait, l’heure du départ était annoncée par un signe que la femme faisait à son homme. Alors, un mouvement se créait. Papa accompagnait à l’étable, aidait à l’attelage et rentrait, avec une aura de givre, annoncer que c’était prêt. Pendant ce temps, en dedans, on fouillait pour trouver la couverture qu’on avait mise au chaud,
démêler les manteaux, les foulards, les tuques et les mitaines.

Après le départ des premiers partants, les conversations restaient comme un moment en suspens puis, reprenaient en mode mineur, en attendant le deuxième départ qui ne tardait pas. Lorsque les derniers partaient, les plus jeunes enfants étaient déjà couchés et grand-père fumait une pipe avant de monter à sa chambre. Maman ramassait, papa allait faire un dernier tour à l’étable, remettre tout à l’ordre et probablement se vider avant de se coucher. Et moi, je faisais la même chose au poulailler qui était attenant au hangar.

C’est ainsi que ça se passait au temps des fêtes à St-Zéphirin.
Le lendemain, la vie reprenait son cours normal. Au déjeuner, on se garrochait les galettes de sarrasin comme des frisbees puis, oubliant la féerie du Jour de l’An, on se chicanait comme à l’ordinaire.

On en aurait pour quelques jours à manger les restes de ce banquet, mais on ne s’en plaignait pas, loin de là.
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(*) À St-Zéphirin nous avons connu les « bas du Jour de l’An » avan
t les « bas de Noël » qui ne sont arrivés dans notre famille qu’après la guerre (1945) avec l’arbre de Noël, son dépouillement, ses cadeaux et le Père Noël qui les apportait. Pour nous, au Jour de l’An il y avait des « étrennes » pas de cadeaux, des bas suspendus à la cheminée ou dans l’escalier, pas d’arbre et pas de Père Noël. C’était l’Enfant-Jésus qui fournissait les étrennes.
En était-il ainsi dans la plupart des foyers francophones du Québec? Appel à tous.

(**) Pedleur
Vendeur faisant du porte à porte. Vient de l'anglais peddler (vendeur itinérant), qui vient de pédaleur.


En complément: Lire: Le temps des fêtes à Maniwaki - par Eddy Nault
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