8 août 2009

23 - Communion solennelle sacrilège

J’ai probablement onze ans. Le printemps est avancé puisque nous occupons la cuisine d’été. C’est dimanche. Au train, chez Ernest Allard, j’ai pris un peu de retard. Je rentre à toute allure.

Il n’y a personne dans la cuisine. Tous sont affairés à se préparer pour la messe. Aujourd’hui, c’est spécial, puisque c’est jour de communion solennelle. Pour la circonstance, on m’a déniché un brassard blanc que je porterai au bras gauche. Les communiants occuperont les bancs d’en avant de l’église, les garçons d’un côté et les filles de l’autre. Mgr Bruneau, qui est déjà venu pour la confirmation des plus jeunes, présidera la cérémonie. C’est une pratique suffisamment inscrite dans les traditions et, pour les familles nombreuses, tellement coutumière qu’elle ne génère pas d’émotion particulière. Mais il faut être là et à temps, c’est l’impératif de l’heure.

Je me lave donc en vitesse. Comme il n’y a plus de serviette de lin sur le rouleau fixé à la porte de la dépense, je grimpe sur l’armoire pour en prendre une qui soit propre.

À la deuxième tablette je vois un pain de sucre d’érable déjà entamé. Il n’y a personne dans la cuisine et cela ne paraîtra pas. C’est le bélier qui me permet d’enfoncer mes barrières de défense et d’assouvir ma passion. Ni une ni deux, j’en croque un coin que je savoure l’instant d’une prise de conscience.

Je redescends de l’armoire et avant d’installer le rouleau de lin sur son support, aussi vite que l’éclair, je crache vivement dans le «sink» (c’est ainsi qu’on appelait l’évier) le reste du sucre, que je n’ai pas encore avalé, comme si c’était un violent poison. Et pour enlever toute trace, comme l’arme du crime, je prends une bonne gorgée d’eau. Double faute!

Je venais de réaliser en effet que c’était jour de communion solennelle. Il me faudra donc aller communier. Et pour aller communier il faut être à jeun depuis minuit. "N'avoir ni mangé ni bu depuis minuit" disait la règle. C’est un impératif incontournable.

Tout en allant me changer, j’essaie de me convaincre que je n’ai rien avalé. Peine perdue, je n’y arrive pas, une petite voix intérieure attire mon attention sur l’œil de Dieu, qu’on nous avait présenté souvent dans son triangle de trinité avec l’inscription «Dieu me voit». Lui il le sait et il me le rappellera constamment comme il l’a fait à Caïn au fond de sa caverne, après le meurtre de son frère.

Les conséquences sont claires. Il ne faut pas aller communier. Ce serait un sacrilège. Et dans ma tête tourbillonnent toutes les images de profanation qu’une Église en défense avait produites et dont elle se servait copieusement pour nous terrifier ou plus simplement pour retenir l’attention qu’un sermon plus serein perdait infailliblement.

Mais, ne pas aller communier un jour de communion solennelle! Impossible! Rester dans le banc par un dimanche ordinaire alors que les autres allaient communier, c’était déjà difficile parce que très suspect. C’était suffisant pour mettre en action les mécaniques de commérages internes qui produisaient d’énormes dommages sans qu’aucune parole ne soit prononcée ou qu’aucun sourire malicieux ne soit affiché.
Savoir ce que l’autre, ce que la paroisse pensait de soi sans qu’on puisse se défendre, c’était un supplice de Tantale absolument insupportable. Entendre le verdict des jugements de cette cour intérieure qui siégeait à l’année et 24 heures par jour dans la paroisse et en soi, équivalait à un arrêt de mort.

Le prétexte de la maladie? Instinctivement je savais que je ne pouvais emprunter cette voie, elle était bloquée au point de départ. Que faire? Je ne fis rien, je ne pris aucune décision, je me changeai, affairé à mettre mes états de conscience au neutre. Dans la cour, le buggy à deux sièges m’attendait avec plusieurs paires de gros yeux, conscience de mon retard. Aller communier ou pas? Ma décision est comme reportée, d’abord justifiée par les regards désapprobateurs, puis enfouie sous les feuilles mortes des rites dominicaux.

Qu’ai-je fait? Vous le devinez, il n’y a pas eu de décision. Comme un robot, je suis allé communier avec les autres, mon trouble de conscience anesthésié par la solennité de la cérémonie. De mon désarroi rien ne parut. Du moins je l’ai toujours cru. Je n’ai jamais non plus craint que la foudre, punition et vengeance de Dieu, me tombât sur la tête. Le gros bon sens campagnard nous protège généralement assez bien contre ce genre d’épouvantail.

Non, c’est le poids du sacrilège qui se faisait le plus lourd. Aller communier consciemment alors qu’on n’était pas à jeun c’était un sacrilège classé dans la catégorie de «péché mortel» et qui par la suite était doublé chaque fois qu’on allait communier sans confesser ce péché.

J’ai traîné ce poids pendant des années, jusqu’à la retraite qui a précédé mes premiers vœux. Ce boulet m’empêchait de regarder le ciel chaque fois qu’on nous parlait des fins dernières. Et je reportais toujours l’issue inévitable d’une confession générale qui liquiderait une fois pour toutes ce complexe. Pourquoi je remettais? D’abord par timidité naturelle et plus tard parce que je craignais surtout le ridicule qu’un tel aveu pourrait susciter. Paraître accablé par un incident aussi insignifiant m’était une honte plus grande que le poids du péché et la crainte de l’enfer. Pourtant, le fardeau était toujours là sur ma conscience et il pesait. Il pesait comme peut obséder une verrue dans la face. Mes rationalisations ne parvenaient pas à le déloger.

Le prédicateur qui entendit ma confession fut assez fin pour ne pas accorder trop d’importance à «ce péché caché». Il me donna l’absolution avec beaucoup de sympathie colorée de bonhomie. Il me dit d’aller en paix. Ce que je fis mais non sans un certain sentiment de honte pour avoir accordé de l'importance à une peccadille.

La religion de mon enfance
La religion que j’ai connue dans mon enfance était surtout faite de pratiques religieuses: le chapelet en famille à tous les soirs, la grand-messe du dimanche, le carême et l’avent, la pratique des quarante-heures, et des premiers vendredis du mois dont le point culminant était la confession que devait déclencher une tonitruante prédication.

Je n’ai jamais trouvé ces pratiques lourdes. Le chapelet en famille était parfois long mais on savait se distraire. Les autres pratiques à l’église étaient toutes prises au sérieux. On s’appliquait à les remplir correctement comme on passe un examen.

La communion, à tous les dimanches, ou presque, était comme une option que l’on prenait sur le modèle de base qui n’exigeait que la messe du dimanche. Cette option nous obligeait à nous lever plus tôt, à assister à deux messes et à prendre, entre les deux, notre déjeuner de beurrées devant les familles des autres habitants qui, comme nous, avaient réservé un espace pour leur cheval à l’écurie de Bernard Courchesne, située à deux pas de l’église.

Ce surplus nous auréolait, nous semblait-il, à nos propres yeux d'abord, et surtout aux yeux de la paroisse, comme un titre de noblesse qui donnait droit à une tacite fierté.

Les neuf premiers vendredis du mois étaient comme une police d’assurance.
Cependant on pouvait s’y dérober à l’occasion. Il suffisait de les avoir faits une fois dans sa vie pour être couverts pour toute l’éternité. Une aubaine!

Toutes ces pratiques prenaient l’allure presque sportive d’entraînement pour le ciel. Quand j’ai vu que mon père apportait des «beurrées» au creton quand il allait bûcher à la sucrerie, pendant le carême, j’ai été déçu, non pas que je craignais pour lui l’enfer, mais parce que c’était un aveu de faiblesse. Ma déception était similaire à celle d’un enfant dont le père n’arrive pas le premier à une compétition sportive.

Les bases doctrinales qui soutenaient ces pratiques étaient fort peu connues et assez rudimentaires. On savait que Jésus était venu au monde à Noël et que c’était pour souffrir et mourir pour nos péchés. L’Évangile était lu en latin et la prédication portait parfois sur les mandats émanant de l’évêché, mais la plupart du temps, elle consistait en vagues dénonciations du mal et de Satan dont il fallait se méfier. Cette prédication commentait rarement l’Évangile. On le citait parfois mais c’était comme on utilise un levier pour soulever un lourd édifice. L’édifice à soulever avait toujours des couleurs de moralité fort accentuées.

On s’évertuait à faire baptiser les enfants le jour même de leur naissance par crainte des limbes, de la mort, et de Satan qui, comme un lion rugissant, rôdait autour des âmes non protégées. Mais aussi, parce que cela faisait partie des règles à ne pas enfreindre, du sport religieux pratiqué à la vue et au su de tous.

À l’école, l’enseignement de la religion se bornait à la récitation des leçons et surtout du catéchisme dont on devait apprendre tous les jours quelques numéros par cœur, questions et réponses. Je revois encore ma mère s’acharner à apprendre à mon jeune frère à réciter le «De profundis» en latin, s’il vous plaît, au programme de la cinquième année. Je me souviens avoir demandé un jour à la maîtresse ce que signifiait le mot transsubstantiation que l’on retrouvait au numéro 261 du catéchisme du Québec. Je crois qu’elle pourrait se souvenir plus d’avoir patiné ce jour-là, que moi, de la réponse qu’elle m’a donnée.

La religion que j’ai connue dans mon enfance était une composante sociale, naturelle, jamais remise en question, qui comportait un certain nombre de règles auxquelles on se soumettait sans trop de peine et avec une certaine fierté.
La conscience chrétienne se limitait à la bonne et à la mauvaise conscience et celles-ci étaient déterminées par l’exacte observance de ces règles.

On était catholique comme on était canadien. Et cela donnait droit à des drapeaux et à des processions qui alimentaient notre fierté. Assez simple, mais très efficace.

Retourner à cette époque? Jamais! Pourtant, c’était le bon temps et ce bon temps, comme un jardin bien cultivé, produisait des fruits de toutes saveurs.


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Suite : 24 - Mousse aux fraises

1 commentaire:

  1. Bonjour,
    SVP puis-je me servir de votre image des cloches de Pâques, celle en noir et blanc, c'est pour servir dans un document d'éducation aux Adultes à Québec, Canada
    Je vous remercie
    Josée Levesque
    jesigne_jole@hotmail.com

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